L’EPS, au collège et au lycée, c’est quand même quelque chose. Personne n’en sort tout à fait indemne, et chacun en garde à sa façon un souvenir... impérissable. Pour certains, ces trois lettres évoquent des moments heureux, constitués d’incroyables performances sportives, de victoires successives lors des matchs de foot et de volley, ou encore de glorieuses remises de trophée lors des Olympiades Communales. Pour d’autres moins chanceux, elles ne sont que synonymes de longues heures de souffrance hebdomadaire, à courir le matin vêtue d’un simple sweat alors que la température extérieure frôle les - 5°, à monter à la corde devant tous, comme le ferait une bête de foire gesticulant sous les invectives humiliantes de son maître tyrannique – que l’on retrouve ici sous les traits du prof –, à toujours être l’une des dernières choisie dans une équipe car au final "c’est pas qu’on t’aime pas hein Claire, ne le prends pas personnellement... Mais nous on veut gagner".
Perspicace comme tu es, lecteur, tu l’auras deviné : je fais partie de la deuxième catégorie, celle des martyrs du basket, des écorchés vifs du saut de haie, des phobiques des agrès. Nous tous, victimes du sport, formons au fond une grande famille qui sait, face à l’adversité, faire preuve de solidarité inter membres. J’en suis certainement l’un des piliers les plus solides, devenue au fil des années un élément du décor, l’incarnation même de la réfractaire désespérée du cours d’EPS. Pourtant, une fois sortie du carcan scolaire, je n’ai pas peur de clamer haut et fort que j’aime le sport (enfin bon, sans excès non plus, faut pas déconner). Ou tout du moins, j’aime seulement quelques sports précis. J’aime par exemple sentir chaque membre de mon corps tendu dans l’effort que requiert la course à pied, malgré mon endurance assez médiocre ; j’aime entendre le son mat et vibrant de la balle de tennis lorsque je la frappe de toutes mes forces en dérapant sur la terre battue ; j’aime la sensation de l’eau chlorée clapotant doucement contre mes poignets lorsque j’enchaîne les longueurs brassées à la piscine ; et, plus que tout, j’aime distinguer la mine à la fois déconfite et renfermée de l’adversaire fraîchement vaincu. Mais alors, me direz-vous après avoir lu ce portrait idyllique, où est vraiment le problème ? Pourquoi ne suis-je pas l’une de ces filles excellant naturellement dans le moindre sport, encensée par une foule de mecs rendus euphoriques à cause du match en cours et dont les capacités de discernement ont été annihilées par leurs hormones grisées ?
L’origine probable de ce dégoût (blocage, ahah ?) remonte à des années, au moment où j’étais à l’école primaire. Je me rappelle encore de mon premier cours de gym, auquel je m’étais rendue en tant que conquérante, aussi fière même qu’une guerrière chevronnée. La désillusion fut cruelle lorsque je me rendis rapidement compte que j’étais totalement incapable d’exécuter correctement la moindre roulade, et encore moins de faire la roue ou l’équilibre, malgré les quatre années de danse que je totalisais déjà. Ma prof de l’époque, et je ne l’oublierai sans doute jamais, était une vieille fille frustrée aux manières rudes et dépourvues de pédagogie. Un jour, ne supportant plus de me voir rester tapie dans un coin de la salle, elle me prit par un bras et me plaça sans ménagement au centre du cercle formé par les autres enfants, m’ordonnant d’accomplir devant toute la petite assemblée les fameux exercices honnis. Évidemment, je ne parvins qu’à esquisser avec difficulté un semblant de galipette arrière et finis par m’effondrer en larmes devant elle, la suppliant de mettre un terme à cette humiliation publique. J’avais déjà l’art de la mesure, c’est sûr. Mais mon discours implorant ne suffit pas à l’attendrir, ne serait-ce qu’un petit peu, et elle se contenta de déverser à mon encontre une flopée de réflexions vexantes et abaissantes tandis que je poursuivais à contrecœur mon entraînement, sous les rires moqueurs des élèves. J’avais huit ans, et cette expérience suffit à me dégoûter à jamais de la gym, ainsi que de toute autre discipline y ayant trait.
La faute à qui que ces nombreux dégoûts du sport ? Comme pour toute autre matière scolaire, j’en conclus selon mon expérience qu’elle est souvent due aux méthodes enseignantes – aucune pédagogie, aucune douceur dans les approches proposées. Alors, justement, les profs d’EPS, parlons-en : à quoi servent-ils, à part à se promener tranquillou en jogging toute la journée sans jamais vraiment bouger leur cul? En bientôt six années de pérégrinations collégiennes et lycéennes, j’ai eu l’occasion d’analyser finement ce spécimen singulier dans son élément naturel qui, selon la saison, peut être le gymnase ou le terrain de sport. Et en bonne enquêtrice qui se respecte, votre fidèle reporter a également pu répertorier les espèces observées en trois catégories majeures :
Catégorie n°1 : j’ai nommé le psychorigide sadique. Celui-là, je vous en ai déjà exposé quelques traits de caractère lorsque j’ai abordé les raisons de ma virulence envers l’EPS. Je crois qu’on l’a tous déjà eu au moins une fois au cours de notre scolarité, ce prof aux méthodes douteuses, quasi dignes d’un camp de redressement. Le psychorigide ne parle pas aux élèves, il leur aboie dessus ; il ne sourit pas, il grince des dents ; il ne dit pas bonjour, il grogne. Cette espèce, je la connais particulièrement bien. Je m’en rappelle d’une, que j’avais eu en Sixième, qui s’était engueulée avec ma mère au mois de septembre lors d’une réunion en présence d’une trentaine de parents, et me l’avait fait payer tout au long de l’année en m’infligeant des heures de colle mensuelles durant lesquelles j’étais censée pondre des essais sur les vertus du sport collectif. Décidément, j’aurais vécu de sacrées expériences en EPS, pourrai-je raconter dans quelques années à mes arrières petits-enfants, en caressant ma longue barbe blanche de vieux sage dont l’expérience ne serait plus à prouver.
Catégorie n°2 : j’ai nommé le macho. L’archétype même du mec aux yeux de qui toute personne dépourvue du membre viril suprême n’est pas digne d’intérêt et qui, par conséquent, n’a pas de raison valable d’exister. Particulièrement insupportable, le macho aime à se la péter dès qu’il en a l’occasion. Il adore arriver chaque matin au lycée sur sa moto peinte en noir brillant, où il en profite au passage pour se la jouer djeun’s en discutant mécanique avec les mâles de Terminale S. Ce spécimen-ci aime tout particulièrement avoir affaire aux classes d’élite, constituées au choix soit par des élèves de sport-étude, soit par des élèves de S (le must étant évidemment d’avoir les deux réunis). Le reste de la population lycéenne, "la plèbe", ainsi qu’il l’appelle avec morgue, n’est donc voué qu’à l’échec le plus cuisant. Avec le macho, vous avez connu les heures de sport les plus ardues de votre courte vie : rugby, saut de haie et course d’orientation dans la forêt ont été l’objet de vos cauchemars dix mois durant. Plein de bonne volonté, vous vous êtes efforcé de donner le meilleur de vous-même, et pourtant c’est dans ses cours que vous avez récolté vos notes les plus miteuses. Comprenez : si vous êtes une fille, et que vous faites partie de la plèbe, ben... Y a plus rien à faire pour vous.
Catégorie n°3 : j’ai nommé le pervers. Figure récurrente de l’équipe éducative, le pervers, comme son nom l’indique, c’est l’agité du slip du lycée, le DSK en chaleur version prof d’EPS, celui qu’on voit toujours en train de draguer tout sourire la surveillante de la cantine, la petite prof d’histoire récemment débarquée, ou encore la responsable d’internat. Il n’est fondamentalement pas méchant, c’est même plutôt une bonne pâte, et, au contraire de son collège précédent, si vous êtes une fille, vous partez déjà avec une note minimale assurée de 12. Après, c’est que du bonus, bien sûr : tout dépend si vous êtes plus ou moins à son goût. Vous voulez obtenir un bon 18 et vous avez des attributs conséquents – en d’autres termes, vous êtes ce qu’il préfère, une poufiasse blonde décolorée ? Venez habillée d’un débardeur transparent et échancré dévoilant subtilement les bretelles de votre soutif le jour de l’évaluation finale. Vous n’êtes pas une poufiasse blonde décolorée ? Essayez quand même, il apprécie la diversité. Bon, si vous n’êtes pas une fille, je peux toujours vous conseiller de tenter aussi votre chance... (Après tout, on sait jamais, il est peut-être dans les deux camps à la fois, hein.)
Si vous avez connu comme moi ces trois spécimens particuliers de profs - et que vous en êtes ressortis tout autant dégoûtés -, rassurez-vous : vous n’êtes pas seuls dans votre résistance acharnée. Un jour, nous, les opprimés sportifs du système scolaire, nous insurgerons et renverserons les responsables de cette tyrannie de l’effort et de la compétition à tout prix ! *applaudissements de la foule en délire* (ohh ça va toi, arrête de ricaner derrière ton écran, t’as jamais été un peu mégalo peut-être ?) Mes chers concitoyens, pour conclure, je vous promets qu’un jour, si je suis élue Présidente, j’abolirai l’EPS obligatoire des programmes, et libérerai ainsi toute une génération d’élèves de cette torture hebdomadaire. Et je vous le promets également : je n’instaurerai certainement pas un système à l’allemande où l’on fait cours le matin et sport l’après-midi. Dans le pire des cas, si un tel dispositif venait à se généraliser en France avant mon quinquennat annoncé, ma seule et maigre consolation serait de savoir que ce ne serait mis en place qu’une fois que j’aurais quitté le lycée. Oui, je sais... Je suis définitivement égoïste et mauvaise dans cette affaire.