vendredi 30 décembre 2011

Comme un radeau sur l'océan


Même si beaucoup ne trouvent plus vraiment de sens à cette fête, les vacances de Noël restent à coup sûr la meilleure occasion de retrouver un point d’ancrage fondamentalement apaisant. Il faut donc s’emparer sans tarder de cette occasion qui nous est offerte et nous y accrocher de notre mieux - un naufragé abîmé en plein océan suivrait la même logique en tentant de s’accrocher à son radeau. Peu importe le dérisoire de la situation, s’il est bien une qualité qui prime c’est la persévérance.

Et il semble parfois plus doux de le rejoindre, ce radeau-refuge, pour souffler provisoirement face aux flots déchaînés. Je passe toujours quelques jours chez mes grands-parents avant les fêtes, et j’éprouve à chaque venue la même sensation singulière de plonger tête la première dans une écume moussante d’images, de couleurs et d’odeurs, d’évocations autrefois familières mais aujourd’hui refoulées. J’ai effectivement le souvenir, diffus, de nombreuses journées occupées à cavaler dans cette vieille demeure de briques écarlates à l’aura teintée d’un mystère poussiéreux. Enfant, j’avais la sensation exaltante de ne jamais y avoir découvert tout ce qu’il y avait à y découvrir ; j’arpentais sans répit chaque recoin de la bâtisse dans l’espoir de dénicher un trésor perdu ou gardé par un monstre fantasmagorique. Ce jeu prenait l’allure d’une épopée fantastique, d’une errance inextricable, mais c’était surtout tellement fabuleux que je souris encore maintenant doucement à la pensée du moi intrépide de mes six ans. Par jeu, par nostalgie de cette période insouciante ; je ne sais pas trop pourquoi je souris en vérité.





C’est à tout ça que je réfléchis lors du trajet jusqu’à la maison des aïeuls. Le voyage est propice à la rêverie, front appuyé contre la vitre buée et yeux mi-clos, tandis que la voiture roule à toute vitesse dans la forêt. Les paysages défilent inlassablement au rythme des chansons de Massive Attack. Il n’y a qu’à l’approche de l’arrivée que je me réveille un tant soit peu, que je prends le temps de regarder autour de moi. J’ai déjà posé un pied dans le passé lorsque je franchis enfin le vieux portail de bois familier clôturant la propriété puis émerge de la Clio. Souriants, mes grands-parents m’attendent tous deux sur le seuil de la maison, leurs frêles silhouettes se découpant dans un halo de lumière hivernal. Ils me dévisagent, m’effleurent, tentent de fixer à nouveau mes traits dans leur mémoire ; leurs étreintes se veulent chaleureuses malgré la rudesse confuse de leurs bras. La conversation s’engage, maladroite et un peu absurde, car une fois passées les embrassades de rigueur on ne sait plus vraiment quoi se dire.

"Claiiire, enfin te voilâââ, tu nous âââs manquée tu sais, tu devrais venir plus souvent!" s’exclame mon grand-père de son ton traînant aux intonations snobs.
"Tu sais bien que je n’ai pas toujours le temps... J’ai déjà du mal à avoir des moments libres dans la semaine, j’y peux rien malheureusement"
"Je comprends, mais peu importe, tu es âââvec nous maintenant, c’est ce qui compte. Comment vâââs-tu? "
"Bien et vous deux ?"
"Oh oui, ton grand-père est en pleine forme, et moi aussi", répond alors immanquablement ma grand-mère la voix empreinte d’émotion.
"Tant mieux alors... !"
"Oui, on peut dire ça comme ça... Sale temps sinon n’est-ce pas ?"
"Mmh... Grisâtre comme d’habitude quoi..." 


Une fois la (pénible) comédie des retrouvailles achevée – je n’ai jamais aimé les effusions de sentiments –, je me retire dans la chambre de mon enfance, qui m’est assignée pour l’occasion. Bien qu’elle serve aujourd’hui de chambre d’amis et que la décoration ait totalement été refaite depuis mon départ, j’éprouve un sentiment étrange à me retrouver ainsi seule dans cette petite pièce baignée de lumière mais privée de chaleur. L’endroit est morne et ne conserve comme seuls vestiges du passé que quelques photos de famille trônant fièrement sur les murs et les étagères.





Alors les souvenirs montent, puis refluent. En observant les différents clichés, je souris, cette fois un peu ironiquement à la vue de l’image parfaitement idyllique qu’ils semblent renvoyer. On m’y voit notamment à plusieurs reprises, en train de tester de nouvelles activités aux clubs de cinéma, de théâtre, de dessin, de tennis, ou encore de danse dont me bourrait mon grand-père malgré ma réticence... Mes chers géniteurs étant continuellement débordés par leur travail, ils reléguèrent rapidement aux grands-parents le soin de me garder la semaine ; c’était tellement plus simple. Je passai donc la majeure partie de mes premières années ici, élevée selon des préceptes ambigus, tantôt rigoristes tantôt originaux. Je baignai très tôt dans un environnement créatif destiné à éveiller en moi une (pseudo) vocation artistique. Ambition ratée puisque ces directives ne me convenaient pas tant que ça, et  que les séjours se soldaient fréquemment par des cris et des pleurs...

Aujourd’hui j’ai séché mes larmes et y retourne volontiers. Je réalise que je dois beaucoup à mes grands-parents. Bien que je sois en deçà de leurs espérances, j’aime l’art, le cinéma, et tous ces machins-là. Mais j’ai du mal à reconnaître en ce lieu triste la maison bouillonnante des disputes d’antan et où l’ambiance était souvent pesante, si accablante. Tout a changé depuis mon départ, et le passé semble s’effacer, inéluctablement. Seuls les souvenirs restent présents. La première nuit, allongée dans ces couvertures à l’odeur bien connue, je serre presque brutalement le vieux chat ronronnant contre moi, comme une enfant serrerait sa peluche préférée contre elle. J’enfouis mon visage dans la masse de ses poils blancs et lisses et médite. Pas de déprime, non, mais juste de la réflexion. Vaut-il mieux se jeter dans les flots de l’océan, à ses risques et périls, ou persister à demeurer sur son radeau, coupé et protégé de la réalité ? Je me le demande alors bien... Et je repartirai comme toujours, quelques jours plus tard, l’esprit mélancolique et embrumé des anciens repères, sans jamais m’arrêter toutefois. En revanche je crois que j’ai cette fois trouvé la réponse à ma question.

samedi 17 décembre 2011

Hello holidays

Aujourd’hui, c’est officiellement le début des vacances, de deux semaines bénies où il sera enfin possible de ne pas se rendre au lycée pour une quelconque raison et où (presque) tous les excès seront permis pendant les fêtes. Ô joie, ô bonheur, sortez la tequila le champagne !

Ces vacances n'ont pourtant pas commencé aussi sereinement que je l’avais escompté. Le problème en fait, c’est que mon inconscient n’avait pas assimilé l’information. Je lui dois un réveil affolé ce matin vers 8h30, les yeux encore gonflés de sommeil et les cheveux en bataille. Les pensées se bousculaient de manière incohérente dans ma tête bourdonnante.
"Je vais trop être en retard, merdeeee ! Faut vraiment que je me bouge, tant pis pour le petit déj’ ! Mais comment je vais faire pour trouver un bus à cette heure-ci ? Puis avec la tempête le trafic est peut-être suspendu ! Faut que j’aille à la gare... Ou sinon je sèche toute la journée... ? Non, non... Ça va être encore pire de ne pas y aller du tout !"
A la fois hagarde et atterrée, j’imaginais déjà la CPE, métamorphosée pour l’occasion en diablesse, m’attendant de pied ferme devant le lycée, un fouet dans une main et une fourche dans l’autre, la bouche tordue en un rictus des plus sadiques. C’est qu’on commence à être copines, nous deux.






"Mademoiselle... Encore en retard pour la SIXIÈME fois du trimestre, gronderait-elle d’un ton doucereux et faussement affligé. C’est réellement du foutage de gueule, jeune fille, vous outrecuidez les limites de la bienséance... Tenez, vous allez tâter un peu de mon fouet ; ça vous apprendra la ponctualité. Depuis le temps que ça vous pend au nez !"   

M’efforçant de chasser de mon esprit cette vision cauchemardesque malsaine, je me ruais hors de mon lit pour m’habiller rapidement. Mes yeux tombèrent alors sur mon portable resté allumé depuis la veille. Les petites lettres clignotantes de la fenêtre principale y indiquaient l’événement suivant : "Samedi 17 décembre : début des vacances". Déconcertée, je m’obligeai à réfléchir lucidement quelques instants.
"Et je dois aller où en fait... J’ai quoi à faire ? 
... Euuh oui, j’ai cours de quoi ?!...
Mais je rêve, j’ai oublié ce que j’avais à faire au lycée... Concentre-toi... Tu n’avais pas deux heures de français là ?"
Les battements précipités de mon cœur se calmèrent progressivement lorsque je réalisai que nous étions bel et bien samedi, et que les quinze prochaines journées n’étaient dédiées qu’à l’accomplissement de mes caprices et volontés. L’heureuse abrutie que je suis retourna donc se coucher.






Et c’est une fois ré-allongée dans mon lit, bercée par le crépitement doux et cristallin de la pluie battant le carreau en salves ponctuelles, que je m’occupe maintenant de me reconnecter à cette trame du temps qu’il est si agréable d’occulter... Je remets de l’ordre dans mes pensées et concilie hier à aujourd'hui, aujourd'hui à demain. Avec pour fond sonore les notes planantes d’Alibi de Thirty Seconds To Mars, je ferme les yeux cinq, dix, quinze minutes... J’ai le temps, après tout. Deux semaines. Deux semaines de paradis que je compte occuper du mieux que je peux afin d’accueillir la naissance du p’tit Jésus dans l’allégresse.

Lire. Écrire. Dessiner des paysages exotiques. Rêvasser. Sillonner les artères commerçantes de Paris. M’émerveiller devant les illuminations. Regarder série sur série. Veiller jusqu’à pas d’heure. Me laisser aller à la fièvre compulsionnelle des achats de Noël. Revoir des copains d’enfance. Découvrir de nouveaux groupes de musique que personne ne connaît. Me ressourcer en famille. Aller au cinéma. Renouer des amitiés perdues. Me rendre à des fêtes. Oublier les tracas du quotidien.

... Et puis travailler aussi, parce que y a quand même beaucoup à faire avec les révisions du bac blanc d’histoire-géo, la rédaction du TPE, les fiches à synthétiser pour l’oral blanc de français et tous les autres devoirs sympathiques...
Mais alors c’est tout en dernier dans ma liste.
En tout cas, bonnes vacances à vous tous ! :D