dimanche 16 décembre 2012

C'est un parfum doucereux de fin d'année


Décembre cette année c’est un peu l’anarchie que je n’avais pas vue arriver... un bac blanc à réviser, des cadeaux à acheter et un concours à essayer de préparer, décembre je t’aime toujours mais pourtant tu ne me le rends plus aussi bien que tu en avais l’habitude avant. Avec toi désormais je crains qu’il ne faille toujours se hâter et ne plus prendre le temps de rien, alors comme je m’y attendais j’ai un peu perdu le goût d’écrire mais je sais que ça va revenir, sûrement de la manière la plus violente et la plus fortuite car tout revient toujours, certes pas nécessairement de la façon douce et plaisante qu’on espère, mais en attendant ce retour-là, un silence vaut parfois mieux que tous les mots du monde. 

mardi 6 novembre 2012

Danse macabre

Retrouver la force de ses convictions


« "Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C’est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l’aube. Pourquoi ? Parce que cette tempête n’est pas un phénomène venu d’ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même, et rien d’autre. Elle vient de l’intérieur de toi. Alors, la seule chose que tu puisses faire, c’est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d’empêcher le sable d’y entrer, et la traverser pas à pas. Au cœur de cette tempête, il n’y a pas de soleil, il n’y a pas de lune, pas de repères dans l’espace ; par moments, même le temps n’existe plus. Il n’y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer."

C’est comme s’il tatouait ces mots sur mon cœur, avec une encre d’un bleu profond.

"Et c’est un fait, tu vas réellement devoir traverser cette violente tempête. Cette tempête métaphysique et symbolique. Mais, si symbolique, si métaphysique qu’elle soit, ne te méprends pas : elle tranchera dans ta chair comme mille lames de rasoir affûtées. Des gens saigneront, et toi aussi tu saigneras. Un sang chaud et rouge coulera. Tu recueilleras ce sang dans tes mains ; ce sera ton sang, et le sang des autres.
Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu’elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d’une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même." »

H. Murakami





J’ai toujours les souvenirs fantômes de ces quelques espoirs brisés, empalés, vides, que je porte partout où je vais sans parvenir à m’en défaire. Toujours. Ils sont là, présents, silencieux, et pour être honnête, je les sens par intermittences. Ce sont des images, en elles-mêmes muettes, noires, incarnations de cauchemars indécis et indicibles sur lesquels je ne parviens pas à mettre le plus simple mot ; des vagues cristallines qui, laissant grésiller leur écume dans ma gorge, reviennent clapoter tout doucement contre les parois qu’elles y trouvent ; mémoires, ainsi, d’un passé que j’ai voulu oublier et souvenirs à mes yeux plus qu’indésirables. Alors j’ai tenté de les ignorer mais ça n’a pas marché ; rien ne marchait plus, en fait ; alors, l’autre fois, nouvelle tentative ; désespérée comme je l’étais, je les ai tous rassemblés dans un coin de mon cerveau, sévèrement, et puis là, j’ai tenté de les propulser au loin comme on jetterait un cadavre frais dans un lac, de toutes ses forces, parce qu’on ne sait pas quoi en faire mais qu’on veut en débarrasser sa conscience et en éliminer toute preuve tangible de son existence, vite, le plus vite possible ; et parce qu’on veut tout simplement effacer ses erreurs. Parce qu’on ne sait pas pourquoi on le fait, ou qu’on ne sait plus en fait, ou qu’on ne sait rien mais qu’on le fait quand même, sans s’obstiner à en chercher quelconque raison pourquoi en chercher une, hein, quelle serait l’utilité ? Donc on le fait, froidement, on agit, sans le moindre scrupule mais baigné de ces illusions que la réalité triomphante et despotique fait, à sa guise, voler en éclats lorsqu’elle surgit : c’était en effet me méprendre sur moi-même que de croire pouvoir tout effacer d’un coup de baguette. Étant autre je pensais être heureuse, enfin, heureuse, vraiment, débarrassée de tout souci puisque n’ayant plus à me confronter à moi-même et, pourtant, la froide préméditation de l’acte n’a conduit, témoin de la vacuité de celui-ci, qu’à son échec le plus cuisant – c’est ce dont je me suis aperçue une nouvelle fois encore, ce lundi matin, dans le train de six heures quarante-quatre qui m’emmenait à Paris. Il était tôt pour un matin de vacances ; et il faisait bien froid au-dehors, puisque le nuage glacé mais poudreux de buée, apposé juste devant mes yeux, obscurcissait encore un peu plus cette vitre taguée déjà rendue opaque par la poussière. Tête étrangement droite, buste raidi, jambes croisées, je scrutais les passagers inconfortablement engoncés dans leur siège de simili cuir, somnolents, blottis et serrés les uns contre les autres, propageant ce rayon de chaleur humaine, bestiale et réconfortante ; semblables, en quelque sorte, à ce bétail qu’on amène à l’abattoir de bon matin, même œil vitreux et même mine déconfite, cernée, blasée, aux traits mis en évidence par la lueur dégoulinante de la noirceur des derniers instants de la nuit qui tombait sur le wagon, légère, fugace et mouvante ; illuminant tour à tour tel ou tel visage ou creusant les ondulations sombres de celui-ci.

Alors j’ai inspiré, expiré, fermé les yeux, et ce fut un noir d’encre absolu, sans les petites étoiles habituelles, un noir dans lequel choses et personnes se sont mises à quand valser, quand osciller vertigineusement autour de moi en une sorte de farandole infinie, en une sorte de danse macabre, angoissante, fantasmagorique, au sein de laquelle tout se confondait, m’agressait et m’assaillait ; chimères, réalité, irréel, rêve, train, passagers, maisons de l’au-dehors, lueurs pourpres entr’aperçues à la jonction de deux voies : c’était si horriblement bruyant, vibrant... et réel. Puis tout s’est peu à peu effacé en un soubresaut unique, estompé en un tissu vague, lointain, que je ne pouvais toucher, tout est redevenu silencieux, désert, oublié, et je me suis réveillée d’un bond à l’arrivée à la Gare de Lyon, glissant presque de mon siège, les doigts tremblants agrippés à mon écharpe – ce n’était qu’un rêve, un rêve à la con, me suis-je assurée en me mêlant à la foule sur le quai.

Et pourtant tout allait mieux qu’avant.

samedi 6 octobre 2012

Welcome back

Si je vous avouais que revenir hanter ce blog déserté faisait partie, début septembre, de mes bonnes résolutions de rentrée vous auriez en toute légitimité le droit et le devoir de me dire que j’ai, pour le coup, sacrément merdé – voilà pourquoi je ne vous dirai rien de tel, si ce n’est que je me sens tout à fait étrange de revenir écrire ici, à cet endroit, un mois après en être partie : je me sentirais presque trop seule.
Ce que je peux vous dire bien plus librement, en revanche, c’est à quel point le temps est passé vite ce mois durant. Je n’ai pas vu les jours défiler et pourtant paf, en l’espace de quatre misérables semaines les habitudes ont repris leur cours – j’ai retrouvé les choses qui m’avaient manquée comme celles que je désirais pour le moins du monde revoir. J’ai retrouvé les joies de la dissertation et des synthèses d’éco (parce que pour tout vous dire je fais partie de ces vrais masochistes en spécialité sciences politiques), me suis mise au yoga, découvert la littérature russe que j’adore pour l’instant, commencé à remplir le dossier de la prépa Pipo, presque arrêté les pains au chocolat à la cafète du lycée tous les matins et puis, un lundi, bam, j’ai eu dix-sept ans. Ça n’a l’air de rien dit comme ça – même qu’il pleuvait ce jour-là, je me souviens, pourtant j’étais heureuse puisque c’était un jour comme je les aime, gris, orageux et menaçant : j’étais heureuse simplement parce que tout le monde la déteste profondément, cette pluie-là qui vous gâche la journée et vous trempe jusqu’aux os de la façon la plus glaciale qui soit. Quel meilleur spectacle sociologique, en effet, que celui, matinal et jubilatoire, offert par ses trente-six congénères tirant la gueule en plein cours d’histoire sur les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale et proférant à ce propos un florilège de réflexions non dénuées de stupidité dont je vous rapporte ce soir (juste pour vous) la substantifique moelle par le biais d’extraits dûment sélectionnés ?

"Qu’est-ce qu’on se fait chier, quand même"
"Grave gros. Et putain, en plus j’ai trop faim"
"Moi aussi ! ça sonne à quelle heure ?"
"25. Mais hé, regarde, la prof elle a des auréoles"
"Baaaahh, comment elle transpire, je savais bien qu’elle était dégueulasse..."
"Ah nan mais ouais. Lycée de merde, profs de merde de toute façon"
"Tellemeeent. En plus il pleut sa mère, je vais friser"
"Oh mais ouais c’est trop ça pour moi aussi"

Constat du jour bonjour : si en lui-même l’être humain est décidément affligeant de prévisibilité ce n’est qu’en troupeau que suinte enfin à sa guise l’essence de sa stupidité. Principe cumulatif, je suppose : un abruti + un abruti = toujours plus d’abrutis – et même si moi je suis le compteur parmi tout ça j’ose espérer que cette somme ne tende pas vers l’infini. L’espoir fait vivre, qu’ils disent les autres.

Ce qui me ramène à mon bilan of the month : alors que je m’étais promise comme chaque année les mêmes conneries – à savoir, arrêter de faire ma langue de pute envers mon prochain et réfréner un peu mes élans misanthropes – il s’avère que c’est, une fois encore, un échec monumental – je devrais au passage vraiment arrêter de tout lister. Libres à vous de me dire, en lisant cela, que je l’ai cherché, je ne nierai pas car vous avez raison ; au fond, c’est bel et bien moi le problème mais je le vis bien et puis je fais semblant, je m’adapte à la population : je n’ai pas toujours été une fervente adepte de la théorie de Darwin pour rien. Ce n’est pas vous qui vous amusiez, petit, à élaborer des schémas de l’évolution de vos camarades en imaginant à quoi ils ressembleraient dix ans plus tard et en tentant de déterminer quels seraient ceux qui crèveraient les plus jeunes car ils n’auraient pas su s’adapter à leur environnement ; c’est moi. À ce sujet parfois je me demande comment je peux être à la fois aussi horrible et aussi compatissante – les extrêmes s’attirent, dit-on ; en l’occurrence, ils s’attirent tous deux réunis en ma personnalité – pourtant peut-être qu’en vérité je ne vaux vraiment pas mieux qu’une autre. Peut-être que je ne suis qu’un grain de sable dans l’univers – et au final ce n’est pas un ‘peut-être’ c’est même un ‘tout à fait probable’, je le sais – mais le genre de grain de sable qui à défaut d’avoir en sa possession les moyens physiques de vous refaire le portrait au marteau-piqueur s’arrangerait du moindre coup de vent pour venir vous piquer férocement et joyeusement l’œil. Retenez ça comme retenez une autre chose : je suis de retour dans la partie, et qui plus est plus en forme que jamais.

mercredi 5 septembre 2012

Apocalypse



Apocalypse... ou le mot qui pourrait caractériser ma chambre à l’instant où je vous parle : dans un coin, un esprit qui s’éveille et un corps qui fourmille de brusquerie, dans l’autre, un épais flot de feuilles amoncelées à même le sol et des classeurs à bras le corps – et puis, au milieu de tout ça, un petit moi qui profite, seule, de ses dernières heures de liberté comme elle le peut. À défaut de briller par sa joyeuseté septembre est le mois de l’introspection et de la déprime, le mois des feuilles mortes et du vent qui s’installe, le mois de... beaucoup de choses : on entame et renouvelle ses inscriptions, on recommence à bosser et on retrouve des têtes connues ou inconnues dans la joie et la bien évidemment mauvaise humeur. Je suis une fille de l’automne mais je n’ai jamais aimé septembre et l’espèce d’effervescence agaçante qui s’en dégage chaque année – c’est comme si l’on était obligé de se montrer enchanté à la perspective de retourner à cette vie active qu’on a laissée de côté deux mois plus tôt. J’aime l’été et sa torpeur insondable, ses crépuscules tardifs noyés par un soleil encore de plomb, et quand septembre redevient pour moi le labyrinthique mois de la submersion annoncée j’en viens, inévitablement, à regretter mes vacances et leur tranquillité si rassurante.

Ça irait si toutefois ces sentiments-là n’étaient pas amplifiés par le fait d’entamer sa dernière année de lycée. On m’a décrit la terminale comme une année butoir, hantée par le début des emmerdes, des dossiers et par l’angoisse du post-bac – sujet à propos duquel je me pose déjà des questions de temps à autre histoire de me faire peur et parce que j’ai besoin de me remuer davantage que je ne consentirai à l’admettre. Alors dans quelques heures je serai de retour dans mon lycée comme si de rien n’était ; j’entamerai ma dernière année de bons et loyaux services et puis je retrouverai la même classe, les mêmes professeurs, la même nourriture immonde du self, les mêmes couloirs poussiéreux et la même ligne de bus bondée du soir. Je sourirai à ces personnes que je ne reverrais peut-être plus jamais de ma vie l’année suivante et je ferai, donc, comme si de rien n’était, puisqu’il semblerait que ce soit le maître-mot de la rentrée. Il faut ménager l’orgueil de tout un chacun...

Ou peut-être bien que je ne leur sourirai pas.

lundi 27 août 2012

Une esquisse d'avenir


Parce que les jours passent et s’écoulent en apportant avec eux cette sensation par trop familière de piétinement, j’ai, un beau matin, décidé d’opérer un de ces retours aux sources comme je me devais de le faire depuis bien longtemps déjà. Je ne sais pas combien de temps ça durera, combien de temps je tiendrai à ce rythme – tout ce que je sais, c’est que je compte demeurer aussi optimiste que je peux l’être dans les bons moments. Je n’ai toujours pas le moindre projet concret d’avenir, je n’en aurai peut-être jamais ; je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie mais je ne l’ai jamais vraiment su, au fond. J’ai toujours été de ces indécis bons à taper contre un mur sans vergogne aucune parce que c’est, dans l’absolu, sûrement le seul et unique châtiment que je mérite de subir pour avoir rendue folle ma conseillère d’orientation – au sortir c’est moi qui ai gagné ; elle en a pleuré de rage, j’en ai pleuré de rire, mais je ne regrette rien. J’avance, simplement, et si je n’y arrive pas, tout du moins je m’y serai essayée et j’aurai la satisfaction de pouvoir me dire que ça n’aura pas été tâche facile. Car rien ne l’est et encore moins l’année qui s’annonce étant donné que cette année, justement, il va falloir trancher et autant vous dire d’emblée que j’ai été toujours été nulle en matière de tranchage.

Alors que je m’avère, donc, tout bonnement incapable de prendre la moindre des décisions, comment parvenir à me projeter au-delà de quelques mois, de quelques années ? Il va bien falloir que je m’y résolve un jour ou l’autre et la chose a trop longtemps été repoussée à plus tard. J’ai rêvé de Sc-Po et l’on m’a ri au nez avant de protester derechef, de, vous savez, ces petites insinuations toutes plus venimeuses les unes que les autres : "mais tu ne parles presque jamais en cours !", m’a-t-on évidemment dit de prime abord avant de poursuivre : "... et tu n’es pas sans savoir qu’être réservée est un défaut tout à fait rédhibitoire pour faire un IEP, il faut être sociable et aller vers les autres en toutes circonstances. Il faut aimer le débat, tu vois ?"  Il faut, il faut, il faut : oui je vois parfaitement, connards, maintenant laissez-moi crever – ou allez crever vous, plutôt, car j’y peux rien si j’ai la flemme de l’ouvrir dans vos cours si passionnants, je ne suis pas une grande gueule et le devenir ne m’intéresse pas le moins du monde ; alors peut-être que Sc-Po n’est effectivement pas pour quelqu’un qui ne supporte pas chez les autres les paroles creuses et les artifices d’une rhétorique vide portée au sommet de son art.

Puis j’ai pensé au droit, l’autre "voie royale" par excellence, celle qui me promet d’incontestables débouchés, des métiers grassement payés et qui me conduit ainsi vers l’assurance d’une vie relativement confortable – une voie dont j’ignore cependant si elle me conviendrait si bien que ça. Je suis vénale sur les bords et j’aime mon petit confort mais le milieu des affaires fait monter à mes lèvres une nausée certaine ; la paperasse me révulse et me révulsera toujours ; ce n’est pas original mais la monotonie d’une vie bien rangée m’ennuie à mourir ; je suis fainéante mais je veux plus que tout être utile à mon échelle dans ce monde. Bref, pas besoin de vous faire un dessin, vous l’avez compris, je vis dans le paradoxe perpétuel, et ma vie à elle seule est un parfait mélange de ouatzefuque et de sérieux : je ne sais même pas ce que je veux. En revanche je sais ce que je ne veux pas et c’est déjà ça, au moins.

Enfin j’ai cru entrevoir en l’hypokhâgne un vague compromis. Une ou deux années dédiées à l’approfondissement de ces matières littéraires que j’adore et que j’ai plus ou moins mises de côté en m’orientant vers la ES au lieu de la L tel que me le prédisaient, depuis le début du collège, mes profs de français, d’histoire-géo et de langues. "Je verrais bien votre fille écrire et mener une belle carrière littéraire", avait une fois dit ma trop enthousiaste prof de français de cette année à mon géniteur ricanant lors de la réunion annuelle parents - profs. Tout plein de mépris qu’il l’ait été, le sarcasme paternel, prévisible, n’avait pas mis longtemps à jaillir en réaction et je m’y étais préparée avant qu’il ne tombe comme un couperet, yeux plissés et doigts violemment noués les uns aux autres.  
"Ecrivain... vous plaisantez ? Parce que vous voulez qu’elle soit chômeuse et sans aucune perspective d’emploi, c’est ça ? Alors oui, ça c’est brillant, en effet. Les études et carrières littéraires sont des voies minables et bouchées, voilà mon avis. Et il est irrévocable. Ne lui mettez pas en tête ce genre de chimères."

Je vous épargnerai les détails mais aussi bien vous dire que lorsque j’évoque cette possibilité d’avenir, les cris fusent, chez moi. Les cris fusent et les injonctions pleuvent comme tout autant de flèches empoisonnées qui me frappent en plein visage sans que je ne parvienne à les esquiver – et pourtant elles me procurent l’effet inverse, elles me donnent la rage, ces flèches-là, la rage de vaincre la plus absolue. Elles me donnent l’envie de me battre pour mes convictions et pour faire ce que j’ai envie de faire ; à savoir, si l’on simplifie, des métiers n’entrant pas dans les catégories suivantes :

  • métiers de l’entreprise au sens large. À moins que je me trompe sur ses débouchés, de préférence ainsi pas d’école de commerce pour moi, parce que je vous avoue ne pas être trop tentée par la perspective de finir experte en marketing chez Casino ou directrice des ventes Carrefour
  • métiers chiants, du type avocat d’entreprise, où l’on termine inévitablement noyé sous la paperasse, l’ennui, avec une vie monotone et bien rangée (une catégorie qui, toute somme faite, peut rejoindre la première)
  • métiers vraiment sous-payés (faut bien se nourrir quand même, vous croyez quoi), je ne passerai pas cinq voire six années d’études à me casser les fesses pour au final acquérir le merveilleux statut de pigiste dans quelque feuille de chou locale, occupée à couvrir la rubrique "chats et chiens écrasés"
  • métiers totalement creux, superficiels et inutiles, du genre "conceptrice de packagings" ou publicitaire, la vaine société de consommation n’aura pas ma peau de cette façon


Au final et plus je réfléchis à tout ça plus je me rends compte que j’ai peur de beaucoup de choses. J’ai peur de ne pas réussir à trouver ma voie – si j’en ai une, quelle qu’elle soit et où qu’elle se trouve –, j’ai peur de mal m’orienter et de perdre mon temps, j’ai peur d’avoir une conception de la vie adulte particulièrement puérile et méprisante, j’ai peur que l’on m’attribue, à tort, ces mêmes qualificatifs, et j’ai peur, aussi, de devoir faire un choix pareil : ça me terrifie, à vrai dire. J’ai des idées de métiers plein la tête, un jour je rêve de devenir scénariste et de m’exiler à Londres ; le lendemain je me vois journaliste dans la presse écrite ; deux jours après me voilà endossant les traits d’une créa lancée dans des études artistiques – quand je ne me vois pas dans la recherche ou transformée en avocate criminologue. Certains m’ont prétendue nulle et d’autres brillante, mais une chose, au milieu de tout, peut demeurer certaine : l’ambition est et sera toujours là, à mes côtés – c’est un peu ma meilleure amie, pour l’instant. Qu’importe, donc, que je me perde en chemin, puisque l’essentiel est que j’arrive quelque part avec la satisfaction pleine d’avoir vécu ma vie tel que je l’entendais. Enfin... je crois. Je ne suis plus sûre de grand-chose.


-          Minou de Chester, commença-t-elle assez timidement, ne sachant pas si ce nom lui plairait.
   Pourtant, le sourire du chat s’élargit encore un peu plus. « Bon, pour l’instant, il est content », pensa Alice avant de poursuivre.
-          Auriez-vous l’amabilité de m’indiquer quel chemin prendre pour m’en aller d’ici ?
-          Cela dépend d’où tu veux aller, répondit le Chat.
-          Peu m’importe où...
-          Alors peu importe quel chemin tu prends.
-          ... du moment que je vais quelque part, ajouta Alice en guise d’explication.
-          Ah, mais tu arriveras forcément quelque part, dit le Chat, pourvu que tu marches assez longtemps.
   Sentant que c’était là une vérité indéniable, Alice tenta une autre question.
-          Quelle sorte de gens vivent par ici ?
-          Par ici, dit le Chat en agitant sa patte droite, vit un Chapelier, et par là (en agitant l’autre patte) vit un Lièvre de Mars. Tu peux aller chez l’un ou chez l’autre : ils sont tous les deux fous.
-          Mais je n’ai pas envie d’aller chez des fous, remarqua Alice.
-          Ça, tu n’y peux rien ! Nous sommes tous fous, ici. Je suis fou. Tu es folle.
-          Comment savez-vous que je suis folle ? demanda Alice.
-          Tu l’es forcément, sinon tu ne serais pas venue ici.


Alice au Pays des merveilles



jeudi 16 août 2012

Ceci n'est pas un message

Je reviens bientôt, c'est promis - dans une semaine, même.

En attendant, j'espère que vous passez de bonnes vacances les amis.

lundi 30 juillet 2012

Lettre à un absent


Je croyais avoir réussi à te pardonner jusque-là.
Mais il n’y aura plus de mensonges entre nous : je me rappelle bien de nos premières années, aujourd’hui. Ces premières années où l’innocente que j’étais se tenait assise seule dans un coin lorsque tu venais la voir et que, de ta grande main calleuse, tu lui soulevais le menton en te répandant dans de pitoyables excuses débordantes de fausse commisération. Tu t’en souviens, au moins ?
"Je suis désolé... me chuchotais-tu. Va... tu sais bien que je t’aime et que je tiens à toi. Je ne partirai plus, c’est promis. Viens donc dans mes bras."
Tu me disais toujours les mêmes phrases : celles que ma mère te dictait avant que tu ne pénètres dans ma chambre sur la pointe des pieds... pourquoi ? Tout simplement parce que cloîtré dans le silence comme tu l’étais dès lors que tu revenais vers moi, tu n’avais strictement rien à me dire, mais il fallait quand bien même m’apaiser. Tu peux l’avouer maintenant, je suis assez grande pour l’entendre de ta bouche. Il n’est jamais trop tard pour rien.
Et pourtant je m’apaisais, inévitablement. Tandis que mes pleurs tarissaient et que mes lèvres encore tremblantes de sanglots s’ourlaient d’un sourire timide, j’acquiesçais à chaque fois, l’air docile, avec la sagesse et la gravité que savent arborer dans les moments solennels les grandes personnes. Les regrets sont mon seul leitmotiv dorénavant : si seulement j’avais su que tes paroles étaient toutes plus fausses et hypocrites les unes que les autres... Regrets, regrets, regrets... Si je l’avais su, au moment même où je me serais blottie contre toi, j’aurais hurlé "toi, m’aimer ? menteur !" pour te le cracher à la figure comme on crache la pire des injures – avec toute la force d’un dédain au poison savamment distillé. Un coup fatal que tu n’aurais peut-être pas pu parer.
Mais qu’importe. Aujourd’hui je le sais et c’est ça qui compte, au final, de connaître enfin ta haine et ton mépris à mon encontre. Je l’ai déjà écrit et je le répète : il n’est jamais trop tard pour rien. J’aurais pu la découvrir il y a longtemps mais je ne l’ai décelée que maintenant, cette haine injustifiée qui se cachait derrière l’indifférence que tu m’as témoignée des années durant.
"Papa, papa !", criait ainsi le moi de mes sept ans lorsque je te trouvais assis à ton bureau en revenant de la garderie, tard le soir. "Papa, j’ai été sélectionnée parmi toutes les autres filles pour être la danseuse étoile du spectacle ! Tu te rends compte, papa, je vais danser seule sur scène devant une salle de 400 personnes ! La prof veut même que je m’inscrive dans une école de danse à Paris !"
"Sors d’ici, toi ! tu sais très bien que je n’ai pas que ça à faire de m’occuper de toi, j’ai des dossiers à finir et pas de temps à perdre… Va donc discuter avec ta mère. J’ai des préoccupations autrement plus importantes qu’un stupide spectacle de danse que tu auras de toute façon oublié dans un an ! Quoi, une école à Paris, tu dis ? Mais tu rêves, ma pauvre... Pour qui te prends-tu ? Oublie ça tout de suite !"
Et moi je crois surtout que je n’oublierai jamais ce soir-là où tu as fini par me claquer la porte au nez sans la moindre hésitation. Ce n’était en somme qu’un soir comme les autres ; le premier d’une – trop – longue série... tu sais donc aussi bien que moi que je pourrais multiplier les exemples à l’infini même si là n’est pas mon but : je ne me présente pas à toi aujourd’hui pour faire ton réquisitoire mais simplement pour essayer de comprendre cette indifférence haineuse dont je t’accuse et dont j’ignore surtout le moindre fondement. "Pourquoi ?" sera ma seule question. Plus jeune, je t’excusais sans cesse, tu avais beau t’absenter de plus en plus que je redoublais d’attention à ton égard ; j’esquissais pour toi toutes sortes d’aquarelles, des croquis, je te cueillais des fleurs quand je savais ton retour annoncé. Mais tu ne revenais pas... "Je vais à un séminaire, ne comptez pas sur moi pour ce soir" ; "une urgence, je dois me rendre à Londres jusqu’à la semaine prochaine" ; "c’est un rendez-vous très important, je n’ai pas le choix" ; voilà ce que tu disais à chaque fois ; d’habiles subterfuges qui remplaçaient les excuses. J’ai grandi avec un fantôme : je ne sais rien de toi. Je ne sais rien de tes goûts, de ta vie, de tes amis – rien. Alors pourquoi ? Pourquoi ce dédain lorsque tu rentrais à la maison ? Tu sais, je ne suis plus cette enfant curieuse qui t’observait avec de grands yeux depuis son fauteuil alors que tu lui tournais le dos ; maintenant je suis cette fille-là qui se tient debout, face à toi et prête à attaquer toutes griffes dehors si besoin est. Est-ce que je me suis trompée ? Est-ce que je t’ai mal jugé ? Je veux savoir. Je veux des réponses à mes questions. Je veux pouvoir apprendre à te connaître comme il se doit et enfin me dire que non, tu ne regrettes pas de m’avoir comme fille.

Tu vois, une partie de moi voudrait juste arriver à te pardonner de nouveau. Mais je crois qu’au fond l’autre en est à l’instant tout bonnement incapable. 
Il faudra du temps.

lundi 16 juillet 2012

Un retour pour un départ


Et puis je me suis réveillée un matin à l’aube, échevelée et éblouie par les rayons de soleil qui filtraient à travers les stores beiges de ma chambre d’hôtel. Je me souviens qu’il était tôt, ce matin-là, lorsque j’ai ouvert les yeux – mon téléphone posé sur ma table de chevet indiquait 5h37. Les paupières encore gonflées de sommeil, j’ai machinalement lissé mon pyjama de soie noire froissée, en prenant garde de ne pas réveiller ma voisine de lit profondément endormie. Je me souviens du souffle lent et paisible de cette dernière qui balayait mon avant-bras immobile et engourdi par la torpeur écrasante de la pièce. Je me souviens de cette chaleur moite, presque étouffante, dans laquelle mes pensées vagabondaient en ronde avant de cogner les étroites parois de mon petit crâne submergé. Parce que je fais partie de ces étranges personnes dont le cerveau n’est pour ainsi dire presque jamais en veille, je suis perpétuellement assaillie de spéculations en tous genres ; et ce matin ne déroge bien évidemment pas à la règle.
  
C’est pourtant une nouvelle journée comme une autre dans la capitale catalane, là où les jours et les nuits se succèdent selon les rouages d’un espace-temps qui recouvre des allures d’irréalité tant il me paraît différent du mien – il est à la fois si rapide et si long... si distant et si proche. L’atmosphère ici me semble de même à mille lieues de celles, plus "austères", auxquelles je suis habituée de par chez moi. Ainsi, dans ces rues bondées que j’arpente inlassablement depuis le début de la semaine, tout paraît plus joyeux, plus léger ; par ici, des démos de hip-hop s’improvisent ; par-là, des jeunes emplissent l’air des percussions de leurs instruments et de leurs voix mêlées à celle, sourde, d’un public enjoué mais surtout survolté. Je me fous qu’on dise de certains de ces quartiers qu’ils font sales et tiers-monde, je me fous des pickpockets et des cafards dans le métro, je me fous des inconvénients, parce que j’aime cette ville, tout simplement, avec ses immeubles colorés, ses mosaïques, ses boutiques, ses palmiers, et puis sa longue plage où s’étendent mètre après mètre des amas de corps dénudés pas franchement toujours appétissants... J’aime cette ville pour son ambiance, pour son tempérament dynamique et agréable à vivre – peut-être pour un tas de raisons qui m’échappent. J’y reviendrai, sûrement, pas pour y vivre (Paris m’attend déjà), mais j’y reviendrai, un jour prochain.
  
Je me souviens maintenant de ce midi-là, lorsque j’étais à Montserrat, écrasée sous le poids de la coupole bleu cobalt du ciel infini. Il faisait chaud ce midi-là, encore une fois si chaud ; et pourtant je tremblais littéralement dans l’attente des résultats de mes épreuves anticipées que mon meilleur ami s’apprêtait à m’expédier par sms, étant donné que je n’avais pas Internet.
"OH PUTAIN", m’a-t-il tout d’abord envoyé, le connard.
"Raaah mais dis-moi !"
"Bon... Je sais pas comment tu vas le prendre..."
"........"
"Haha d’accord, je te les envoie, wait for it deux minutes, je vérifie encore une fois"

Toutefois mes envies de meurtre à son égard sont vite passées à la vue de ceci :
Français écrit : 19
Français oral : 19

J’ai sauté un peu partout en gueulant des charmants "putain de merde !!!" à qui le voulait, grimpé sur des rochers poudreux en chantant à tue-tête, euphoriquement textoté deux ou trois amis – puis je me suis calmée d’un coup, accablée par l’horrible fardeau des trente-six degrés à l’ombre et par l’absence totale de vent. Ma langue était pâteuse, mes épaules cramées, et moi, assommée : bourrée avant l’heure, semblerait-il... que voulez-vous, si les excès ça me connaît ; ne reste maintenant plus qu’à célébrer dignement la chose, bien que l’euphorie des résultats soit désormais plutôt retombée !
  
P.S. Faut que je vous raconte quand même le moment où ma prof de français m’a sorti qu’elle jugeait le tout un peu décevant. "Oui c’est bien, mais je t’avais dit que tu pouvais avoir 20... Comme toujours tu as dû faire des erreurs stupides, j’imagine." Je... ADIEU, JE MEURS.

samedi 7 juillet 2012

Happy days are coming


Rien de tel qu'une petite playlist de "back to classics" complètement hétéroclite pour se mettre dans le bain des vacances tant attendues... Je crois que je n'arrive tout simplement pas à réaliser que dans maintenant une vingtaine d'heures, je serai au soleil - tout du moins j'espère l'être - en train de faire un semblant de bronzette, le nez plongé dans Alice au Pays des Merveilles. Si ce livre est magique, je prie pour que la semaine à venir le soit tout autant.
Mais comme ma valise encore vide me nargue depuis l'autre bout de ma chambre (la salope), je vous embrasse dès lors et retourne sagement à mes préparatifs palpitants ("oh mon dieu, je mets quelle couleur de vernis... ?") (c'est que j'en ai une cinquantaine... ahem. Le choix est cornélien, voyez-vous.). Sur ce, have fun et à très bientôt les cocos !
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Edit : trois posts en une semaine, je me surpasse. Mais ne vous habituez pas trop, je risque de recommencer à faire ma feignasse d'ici peu. Sauf si vous m'aimez vraiment, à un point tel que... haha, non, sérieusement, je vous promets d'essayer de poster davantage désormais. 
Edit #2 : avouez que le solo de Slash dans Sweet Child O' Mine fait partie des trucs les plus géniaux que vous ayez jamais entendus.

jeudi 5 juillet 2012

“J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans”


J’avais rien de particulier à raconter cet aprem mais comme je ressentais quand même une envie persistante d’écrire, j’ai allumé mon ordi et ouvert presque machinalement ce fichier word, tout ça après avoir griffonné quelques dessins relativement laids dans mon vieux moleskine rouge au rythme des coups de tonnerre qui s’abattaient au loin. Depuis quand le fait de ne rien avoir de singulier à relater devrait-il empêcher d’écrire, je vous le demande ? Vous avez déjà vu bien pire avec moi qui vous abreuve sans états d’âme et depuis maintenant neuf mois de pavés indigestes, de pages et de pages noircies de mes pensées et de mes bien minces coups d’éclat – vous qui venez me lire régulièrement êtes donc un peu masochistes sur les bords, mais pourtant je vous apprécie tous autant que vous êtes. Pourquoi ? Tout simplement parce que votre présence, même silencieuse et anonyme, rassure une étrange part de moi-même. La sensation de se savoir lue est de fait aussi agréable et flatteuse qu’apaisante ; et il se trouve que j’ai bien besoin d’être rassurée en ce moment. Je sais que c’est égoïste mais j’ai plus que jamais besoin de repères ces derniers jours où tout ce que je connaissais et appréciais dans ma vie semble pour de bon voler en éclats : mes amis, ma famille, mon foyer, rien de tout cela ne semble durer, rien de tout cela ne semble destiné à se perpétuer, et ça fait toujours mal de l’admettre et de "tourner la page". Si certains les adorent et les recherchent, j’ai quant à moi toujours détesté les changements trop brutaux car au fond ils me blessent plus profondément qu’autre chose – ce sont des entailles au saignement infini, des heurts si profonds qu’ils en deviennent inguérissables. Chose regrettable s’il en est... je ne suis définitivement pas de celles et ceux qui se lanceraient volontiers à l’aventure un beau jour en laissant tout derrière eux sans se retourner une seule fois, sans le moindre remord. Je suis indéniablement de celles et ceux qui ont besoin de beaucoup de temps pour mûrir une réflexion et pour parvenir au bon choix. Un camp contre l’autre : celui, progressiste, de l’avancement, contre celui, rétrograde, de la stagnation de l’esprit. La rapidité contre la lenteur. Au bout du premier camp, en guise de récompense, l’épanouissement et le bonheur ; au bout du second, en guise de châtiment, les prises de tête... et les cachets de doliprane. S’il ne l’a pas encore fait, que chacun choisisse donc soigneusement et maintenant son camp en toute âme et conscience.

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
 – Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.

Je ne serai à l’évidence jamais quelqu’un d’épanoui et de parfaitement heureux. Parce que je garde toujours tout en moi, le moindre souvenir, la moindre pensée intime, le moindre problème, je sais pertinemment que je ne parviendrai nullement à me confier un jour aisément à qui que ce soit. J’ai tellement de mal à faire confiance aux autres que je préfère dès lors m’imprégner de chaque chose qui soit afin de la garder précieusement enfouie au plus profond de mon être, enfouie et semblable à un immémorial souvenir dont l’ombre fugace me hante plus qu’elle ne me berce. Les souvenirs font mal. Ces souvenirs-là, en particulier, font mal. La raison pour laquelle chacun cherche à les oublier m’apparaît maintenant comme évidente et limpide – c’est même une douche glacée que de la réaliser et de l’admettre enfin. "La conscience de l’humanité est toute propension vers le compromis et l’oubli", disait Giraudoux. Il avait même tellement raison en ajoutant que "le bonheur n’a jamais été le lot de ceux qui s’acharnent". Tellement raison, putain. Au lieu de tirer les leçons des événements survenus, les gens préfèrent oublier lesdits événements et enterrer le passé en pensant naïvement pouvoir aller mieux quand en vérité ils commettent de nouveau les mêmes erreurs stupides ; des erreurs qui les conduiront une fois encore à un aveuglement vain. Mais tout cela est en un sens inéluctable. On ne peut pas l’empêcher. Parce qu’au fond, on le fait tous plus ou moins volontairement... et plus ou moins consciemment.

Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
 – Désormais tu n’es plus, ô matière vivante !
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.