lundi 30 juillet 2012

Lettre à un absent


Je croyais avoir réussi à te pardonner jusque-là.
Mais il n’y aura plus de mensonges entre nous : je me rappelle bien de nos premières années, aujourd’hui. Ces premières années où l’innocente que j’étais se tenait assise seule dans un coin lorsque tu venais la voir et que, de ta grande main calleuse, tu lui soulevais le menton en te répandant dans de pitoyables excuses débordantes de fausse commisération. Tu t’en souviens, au moins ?
"Je suis désolé... me chuchotais-tu. Va... tu sais bien que je t’aime et que je tiens à toi. Je ne partirai plus, c’est promis. Viens donc dans mes bras."
Tu me disais toujours les mêmes phrases : celles que ma mère te dictait avant que tu ne pénètres dans ma chambre sur la pointe des pieds... pourquoi ? Tout simplement parce que cloîtré dans le silence comme tu l’étais dès lors que tu revenais vers moi, tu n’avais strictement rien à me dire, mais il fallait quand bien même m’apaiser. Tu peux l’avouer maintenant, je suis assez grande pour l’entendre de ta bouche. Il n’est jamais trop tard pour rien.
Et pourtant je m’apaisais, inévitablement. Tandis que mes pleurs tarissaient et que mes lèvres encore tremblantes de sanglots s’ourlaient d’un sourire timide, j’acquiesçais à chaque fois, l’air docile, avec la sagesse et la gravité que savent arborer dans les moments solennels les grandes personnes. Les regrets sont mon seul leitmotiv dorénavant : si seulement j’avais su que tes paroles étaient toutes plus fausses et hypocrites les unes que les autres... Regrets, regrets, regrets... Si je l’avais su, au moment même où je me serais blottie contre toi, j’aurais hurlé "toi, m’aimer ? menteur !" pour te le cracher à la figure comme on crache la pire des injures – avec toute la force d’un dédain au poison savamment distillé. Un coup fatal que tu n’aurais peut-être pas pu parer.
Mais qu’importe. Aujourd’hui je le sais et c’est ça qui compte, au final, de connaître enfin ta haine et ton mépris à mon encontre. Je l’ai déjà écrit et je le répète : il n’est jamais trop tard pour rien. J’aurais pu la découvrir il y a longtemps mais je ne l’ai décelée que maintenant, cette haine injustifiée qui se cachait derrière l’indifférence que tu m’as témoignée des années durant.
"Papa, papa !", criait ainsi le moi de mes sept ans lorsque je te trouvais assis à ton bureau en revenant de la garderie, tard le soir. "Papa, j’ai été sélectionnée parmi toutes les autres filles pour être la danseuse étoile du spectacle ! Tu te rends compte, papa, je vais danser seule sur scène devant une salle de 400 personnes ! La prof veut même que je m’inscrive dans une école de danse à Paris !"
"Sors d’ici, toi ! tu sais très bien que je n’ai pas que ça à faire de m’occuper de toi, j’ai des dossiers à finir et pas de temps à perdre… Va donc discuter avec ta mère. J’ai des préoccupations autrement plus importantes qu’un stupide spectacle de danse que tu auras de toute façon oublié dans un an ! Quoi, une école à Paris, tu dis ? Mais tu rêves, ma pauvre... Pour qui te prends-tu ? Oublie ça tout de suite !"
Et moi je crois surtout que je n’oublierai jamais ce soir-là où tu as fini par me claquer la porte au nez sans la moindre hésitation. Ce n’était en somme qu’un soir comme les autres ; le premier d’une – trop – longue série... tu sais donc aussi bien que moi que je pourrais multiplier les exemples à l’infini même si là n’est pas mon but : je ne me présente pas à toi aujourd’hui pour faire ton réquisitoire mais simplement pour essayer de comprendre cette indifférence haineuse dont je t’accuse et dont j’ignore surtout le moindre fondement. "Pourquoi ?" sera ma seule question. Plus jeune, je t’excusais sans cesse, tu avais beau t’absenter de plus en plus que je redoublais d’attention à ton égard ; j’esquissais pour toi toutes sortes d’aquarelles, des croquis, je te cueillais des fleurs quand je savais ton retour annoncé. Mais tu ne revenais pas... "Je vais à un séminaire, ne comptez pas sur moi pour ce soir" ; "une urgence, je dois me rendre à Londres jusqu’à la semaine prochaine" ; "c’est un rendez-vous très important, je n’ai pas le choix" ; voilà ce que tu disais à chaque fois ; d’habiles subterfuges qui remplaçaient les excuses. J’ai grandi avec un fantôme : je ne sais rien de toi. Je ne sais rien de tes goûts, de ta vie, de tes amis – rien. Alors pourquoi ? Pourquoi ce dédain lorsque tu rentrais à la maison ? Tu sais, je ne suis plus cette enfant curieuse qui t’observait avec de grands yeux depuis son fauteuil alors que tu lui tournais le dos ; maintenant je suis cette fille-là qui se tient debout, face à toi et prête à attaquer toutes griffes dehors si besoin est. Est-ce que je me suis trompée ? Est-ce que je t’ai mal jugé ? Je veux savoir. Je veux des réponses à mes questions. Je veux pouvoir apprendre à te connaître comme il se doit et enfin me dire que non, tu ne regrettes pas de m’avoir comme fille.

Tu vois, une partie de moi voudrait juste arriver à te pardonner de nouveau. Mais je crois qu’au fond l’autre en est à l’instant tout bonnement incapable. 
Il faudra du temps.

lundi 16 juillet 2012

Un retour pour un départ


Et puis je me suis réveillée un matin à l’aube, échevelée et éblouie par les rayons de soleil qui filtraient à travers les stores beiges de ma chambre d’hôtel. Je me souviens qu’il était tôt, ce matin-là, lorsque j’ai ouvert les yeux – mon téléphone posé sur ma table de chevet indiquait 5h37. Les paupières encore gonflées de sommeil, j’ai machinalement lissé mon pyjama de soie noire froissée, en prenant garde de ne pas réveiller ma voisine de lit profondément endormie. Je me souviens du souffle lent et paisible de cette dernière qui balayait mon avant-bras immobile et engourdi par la torpeur écrasante de la pièce. Je me souviens de cette chaleur moite, presque étouffante, dans laquelle mes pensées vagabondaient en ronde avant de cogner les étroites parois de mon petit crâne submergé. Parce que je fais partie de ces étranges personnes dont le cerveau n’est pour ainsi dire presque jamais en veille, je suis perpétuellement assaillie de spéculations en tous genres ; et ce matin ne déroge bien évidemment pas à la règle.
  
C’est pourtant une nouvelle journée comme une autre dans la capitale catalane, là où les jours et les nuits se succèdent selon les rouages d’un espace-temps qui recouvre des allures d’irréalité tant il me paraît différent du mien – il est à la fois si rapide et si long... si distant et si proche. L’atmosphère ici me semble de même à mille lieues de celles, plus "austères", auxquelles je suis habituée de par chez moi. Ainsi, dans ces rues bondées que j’arpente inlassablement depuis le début de la semaine, tout paraît plus joyeux, plus léger ; par ici, des démos de hip-hop s’improvisent ; par-là, des jeunes emplissent l’air des percussions de leurs instruments et de leurs voix mêlées à celle, sourde, d’un public enjoué mais surtout survolté. Je me fous qu’on dise de certains de ces quartiers qu’ils font sales et tiers-monde, je me fous des pickpockets et des cafards dans le métro, je me fous des inconvénients, parce que j’aime cette ville, tout simplement, avec ses immeubles colorés, ses mosaïques, ses boutiques, ses palmiers, et puis sa longue plage où s’étendent mètre après mètre des amas de corps dénudés pas franchement toujours appétissants... J’aime cette ville pour son ambiance, pour son tempérament dynamique et agréable à vivre – peut-être pour un tas de raisons qui m’échappent. J’y reviendrai, sûrement, pas pour y vivre (Paris m’attend déjà), mais j’y reviendrai, un jour prochain.
  
Je me souviens maintenant de ce midi-là, lorsque j’étais à Montserrat, écrasée sous le poids de la coupole bleu cobalt du ciel infini. Il faisait chaud ce midi-là, encore une fois si chaud ; et pourtant je tremblais littéralement dans l’attente des résultats de mes épreuves anticipées que mon meilleur ami s’apprêtait à m’expédier par sms, étant donné que je n’avais pas Internet.
"OH PUTAIN", m’a-t-il tout d’abord envoyé, le connard.
"Raaah mais dis-moi !"
"Bon... Je sais pas comment tu vas le prendre..."
"........"
"Haha d’accord, je te les envoie, wait for it deux minutes, je vérifie encore une fois"

Toutefois mes envies de meurtre à son égard sont vite passées à la vue de ceci :
Français écrit : 19
Français oral : 19

J’ai sauté un peu partout en gueulant des charmants "putain de merde !!!" à qui le voulait, grimpé sur des rochers poudreux en chantant à tue-tête, euphoriquement textoté deux ou trois amis – puis je me suis calmée d’un coup, accablée par l’horrible fardeau des trente-six degrés à l’ombre et par l’absence totale de vent. Ma langue était pâteuse, mes épaules cramées, et moi, assommée : bourrée avant l’heure, semblerait-il... que voulez-vous, si les excès ça me connaît ; ne reste maintenant plus qu’à célébrer dignement la chose, bien que l’euphorie des résultats soit désormais plutôt retombée !
  
P.S. Faut que je vous raconte quand même le moment où ma prof de français m’a sorti qu’elle jugeait le tout un peu décevant. "Oui c’est bien, mais je t’avais dit que tu pouvais avoir 20... Comme toujours tu as dû faire des erreurs stupides, j’imagine." Je... ADIEU, JE MEURS.

samedi 7 juillet 2012

Happy days are coming


Rien de tel qu'une petite playlist de "back to classics" complètement hétéroclite pour se mettre dans le bain des vacances tant attendues... Je crois que je n'arrive tout simplement pas à réaliser que dans maintenant une vingtaine d'heures, je serai au soleil - tout du moins j'espère l'être - en train de faire un semblant de bronzette, le nez plongé dans Alice au Pays des Merveilles. Si ce livre est magique, je prie pour que la semaine à venir le soit tout autant.
Mais comme ma valise encore vide me nargue depuis l'autre bout de ma chambre (la salope), je vous embrasse dès lors et retourne sagement à mes préparatifs palpitants ("oh mon dieu, je mets quelle couleur de vernis... ?") (c'est que j'en ai une cinquantaine... ahem. Le choix est cornélien, voyez-vous.). Sur ce, have fun et à très bientôt les cocos !
__________________________________________
________________________________________

_________________________________

______________________________

____________________________

______________________________

__________________________

_________________________________________________________________
Edit : trois posts en une semaine, je me surpasse. Mais ne vous habituez pas trop, je risque de recommencer à faire ma feignasse d'ici peu. Sauf si vous m'aimez vraiment, à un point tel que... haha, non, sérieusement, je vous promets d'essayer de poster davantage désormais. 
Edit #2 : avouez que le solo de Slash dans Sweet Child O' Mine fait partie des trucs les plus géniaux que vous ayez jamais entendus.

jeudi 5 juillet 2012

“J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans”


J’avais rien de particulier à raconter cet aprem mais comme je ressentais quand même une envie persistante d’écrire, j’ai allumé mon ordi et ouvert presque machinalement ce fichier word, tout ça après avoir griffonné quelques dessins relativement laids dans mon vieux moleskine rouge au rythme des coups de tonnerre qui s’abattaient au loin. Depuis quand le fait de ne rien avoir de singulier à relater devrait-il empêcher d’écrire, je vous le demande ? Vous avez déjà vu bien pire avec moi qui vous abreuve sans états d’âme et depuis maintenant neuf mois de pavés indigestes, de pages et de pages noircies de mes pensées et de mes bien minces coups d’éclat – vous qui venez me lire régulièrement êtes donc un peu masochistes sur les bords, mais pourtant je vous apprécie tous autant que vous êtes. Pourquoi ? Tout simplement parce que votre présence, même silencieuse et anonyme, rassure une étrange part de moi-même. La sensation de se savoir lue est de fait aussi agréable et flatteuse qu’apaisante ; et il se trouve que j’ai bien besoin d’être rassurée en ce moment. Je sais que c’est égoïste mais j’ai plus que jamais besoin de repères ces derniers jours où tout ce que je connaissais et appréciais dans ma vie semble pour de bon voler en éclats : mes amis, ma famille, mon foyer, rien de tout cela ne semble durer, rien de tout cela ne semble destiné à se perpétuer, et ça fait toujours mal de l’admettre et de "tourner la page". Si certains les adorent et les recherchent, j’ai quant à moi toujours détesté les changements trop brutaux car au fond ils me blessent plus profondément qu’autre chose – ce sont des entailles au saignement infini, des heurts si profonds qu’ils en deviennent inguérissables. Chose regrettable s’il en est... je ne suis définitivement pas de celles et ceux qui se lanceraient volontiers à l’aventure un beau jour en laissant tout derrière eux sans se retourner une seule fois, sans le moindre remord. Je suis indéniablement de celles et ceux qui ont besoin de beaucoup de temps pour mûrir une réflexion et pour parvenir au bon choix. Un camp contre l’autre : celui, progressiste, de l’avancement, contre celui, rétrograde, de la stagnation de l’esprit. La rapidité contre la lenteur. Au bout du premier camp, en guise de récompense, l’épanouissement et le bonheur ; au bout du second, en guise de châtiment, les prises de tête... et les cachets de doliprane. S’il ne l’a pas encore fait, que chacun choisisse donc soigneusement et maintenant son camp en toute âme et conscience.

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
 – Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.

Je ne serai à l’évidence jamais quelqu’un d’épanoui et de parfaitement heureux. Parce que je garde toujours tout en moi, le moindre souvenir, la moindre pensée intime, le moindre problème, je sais pertinemment que je ne parviendrai nullement à me confier un jour aisément à qui que ce soit. J’ai tellement de mal à faire confiance aux autres que je préfère dès lors m’imprégner de chaque chose qui soit afin de la garder précieusement enfouie au plus profond de mon être, enfouie et semblable à un immémorial souvenir dont l’ombre fugace me hante plus qu’elle ne me berce. Les souvenirs font mal. Ces souvenirs-là, en particulier, font mal. La raison pour laquelle chacun cherche à les oublier m’apparaît maintenant comme évidente et limpide – c’est même une douche glacée que de la réaliser et de l’admettre enfin. "La conscience de l’humanité est toute propension vers le compromis et l’oubli", disait Giraudoux. Il avait même tellement raison en ajoutant que "le bonheur n’a jamais été le lot de ceux qui s’acharnent". Tellement raison, putain. Au lieu de tirer les leçons des événements survenus, les gens préfèrent oublier lesdits événements et enterrer le passé en pensant naïvement pouvoir aller mieux quand en vérité ils commettent de nouveau les mêmes erreurs stupides ; des erreurs qui les conduiront une fois encore à un aveuglement vain. Mais tout cela est en un sens inéluctable. On ne peut pas l’empêcher. Parce qu’au fond, on le fait tous plus ou moins volontairement... et plus ou moins consciemment.

Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
 – Désormais tu n’es plus, ô matière vivante !
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.