Faire le tri dans sa vie, c’est la meilleure chose à faire après une période de déprime et de repli sur soi où l’on ne sait plus trop où l’on en est, et où l’on prend surtout conscience de qui sont nos vrais amis. Alors par comparaison ça a l’air simple, dit comme ça, "allez hop, je fais le tri maintenant". Une injonction courte, à laquelle on pense pouvoir facilement se tenir en théorie quand en pratique la tâche s’avère plutôt longue et ardue. Alors par où commencer ? En se débarrassant des parasites qui font mine d’être nos amis alors qu’ils ne pensent qu’à profiter de nos cours bien pris et de nos plans de dissertations ? En supprimant – acte jouissif – ces derniers de tous ses contacts ou, perspective encore plus réjouissante, en les envoyant paître de vive voix afin de pouvoir admirer en direct leurs têtes décontenancées lorsqu’ils me demanderont si je peux leur prêter mon dm de maths et que je leur répondrai, sourire sadique aux lèvres, un "non" impérial ? J’y réfléchis, j’y réfléchis. Car aujourd’hui plus que jamais, l’hypocrisie me donne envie de hurler. Je ne supporte plus les gens hypocrites et encore moins l’idée d’être prise pour le pigeon de service sous couvert que j’ai d’assez bonnes notes et que je pourrais, bien sûr, aider mes gentils camarades en détresse. Burn in hell, bastards, voilà ce que je leur dirais volontiers lorsque je les voie m’approcher, arborant pour l’occasion leur plus bel air amical, toutes dents découvertes en un rictus mielleux, et éveillant en moi de vives pulsions misanthropes jusque-là difficilement refoulées.
"Dis, on a besoin de toi, on comprend pas l’éco, tu peux nous expliquer ?"
Oh, god. Mais comment vous faire comprendre simplement ma pensée sans passer pour la pire des connasses, chers collègues ? JE NE VOUS AIME PAS, je ne veux pas vous voir. Vous n'aviez qu’à écouter en cours au lieu de mettre le bordel à votre trop bonne habitude. Au pire, papa-maman vous paieront un autre cours particulier, ce qui ne sera ni la première ni la dernière fois ; ils n’ont que ça à faire de leur argent, après tout, puisque combler le moindre désir de leur progéniture est bien entendu leur priorité.
"Allez, s’il te plaîîît, on a vraiment besoin de toi, tu es notre seul espoir"
Oh là là là, si vous me prenez par les sentiments... ça en devient presque attendrissant. Laissez-moi réfléchir deux minutes mes chéris. Ah oui, tout s’éclaire, la date du DS d’éco est fixée à demain. Pas le temps donc de faire venir votre prof particulier le soir même dans l’espoir de combler un tant soit peu l’immensité de votre ignorance. Bon, je fais quoi, moi ? Si... Si je leur demandais de la bouffe en échange ? A eux tous, ils auraient bien les moyens de me payer un petit kilo de macarons. Hmm, c’est tentant. J’admets être une vendue.
"Alors tu veux bien ??"
Entendre la panique poindre dans leurs voix me fait jubiler intérieurement. Je me sentirais presque comme Irène Adler face aux frères Holmes, jouissant de mon - bien qu’éphémère - pouvoir que je suis la seule à détenir. Mais, dans un pur élan de gentillesse, je me reprends et fais volte-face au dernier moment, sur un coup de tête.
"Bon, d’accord", je lâche finalement. "Je vous rejoins en perm dans cinq minutes. Mais c’est la seule et unique fois, hein"
"Oui oui ne t’inquiète pas !"
J’avais alors eu tort de ne pas me fier à mon instinct en préférant jouer les gentilles. Depuis ce jour-là, j’ai littéralement été assaillie de demandes de soutien en tous genres de la part de gens qui n’en avaient rien à carrer de la réussite scolaire. Pomper sur quelqu’un d’autre, c’est tellement plus simple, plus rapide, qu’ils se disent... Pourquoi se fatiguer quand quelqu’un est là pour faire les choses à notre place et que les parents restent dans l’ombre, prêts à intervenir à l’aide d’un gros chèque quand lesdites choses dérapent ? Quand j’ai réalisé ça, j’ai vite regretté d’avoir agi comme je l’avais fait ; et la masse de rapaces, sentant leur proie leur échapper, a aussitôt fondu sur moi, se montrant d’un commun accord des plus attentionnés à mon égard afin que je reprenne pour eux mes activités de mère Teresa. J’ai ainsi, du jour au lendemain, reçu masse de sms d’apparence tous plus gentils les uns que les autres.
"Salut ..., c’est pour prendre de tes nouvelles ! Ça va mieux, ton rhume ?"
Et moi qui croyais ne pas m’être fait beaucoup de nouveaux amis dans ma classe... Agréablement surprise, je m’empresse de répondre à camarade n°1.
"Oui merci c’est gentil ! Je suis presque guérie, je reviens sûrement demain, d’ailleurs."
"Bonne nouvelle alors ! Tu pourras me montrer ton exposé d’histoire de l’art comme ça ? Parce que j’arrive pas à faire l’analyse... Et tu pourrais m’envoyer aussi les corrigés des exos de maths, j’avais la flemme de les prendre la dernière fois."
Me retenant de lui rétorquer d’aller se faire cuire le cul, j’ai préféré aller passer mes nerfs sur ma Wii lorsque mon téléphone a vibré une nouvelle fois et que j’ai vu que camarade n°2 me demandait de lui passer ma dissert’ de français parce qu’il n’avait "pas d’idées de plan". Achevez-moi, je meurs.
Mais tout ça, c’est fini. J’ai fait une liste de résolutions à tenir et dire leurs quatre vérités à ces personnes-là au lieu d’esquiver leurs sollicitations en fait partie. Je compte bien m’y tenir. Et en fait... je crois même que ça me réjouit. Quoi de mieux que de céder enfin aux penchants impitoyablement sadiques que l’on a si longtemps restreint et de bannir toute morale ?