samedi 30 juin 2012

The sweet taste of summer


Je sais bien que ça ne fait que deux semaines que je n’ai pas écrit la moindre chose mais j’ai l’impression que des mois entiers se sont écoulés depuis mon dernier post. J’ai l’impression, depuis le début de ce mois de juin qui s’achève d’ailleurs aujourd’hui, que le temps s’est écoulé à une vitesse folle, à un rythme fou et démesuré ; et même si elle revient à toutes les vacances, cette sensation de ne plus savoir quel jour de la semaine on est demeure toujours aussi étrange et déconcertante. Si l’on ajoute à cela le fait que je me couche chaque jour à l’aube, bah... vous obtenez un rythme de vie complètement fucked up comme le mien. Certes, c’est les vacances, me direz-vous. Mais quand même. Faut que j’arrête de me lever à midi et que je commence à bouger mes fesses histoire de m’aérer le cervelet et de profiter de ce temps radieux. Que je bronze un peu, aussi, histoire également de ne pas être la seule à exhiber des jambes d’une blancheur de poulet pas cuit sur les plages méditerranéennes. Puis que je lise enfin des romans pour moi-même, après tous ces mois à m’être coltinée des pavés dont la gueule ne m’inspirait pas forcément. Le bac de français c’est fini. Je suis en vacances. Et ça fait bizarre. Je suis obligée de me le répéter à voix haute pour y croire. Ils m’ont tellement foutue la pression au lycée pour ce foutu bac et pour des notes dont je sais pertinemment qu’elles seront impossibles à avoir... si bien que je préfère même pas imaginer ce que sera la terminale à ce rythme. Exactement, n’imaginons pas. Parlons d’autre chose que du futur, sinon je risque de me mettre à déprimer.
J’ai bien un sujet qui me vient là tout de suite, mais je te préviens mon ami, ça risque de pas te plaire... j’ai envie de parler du bac, voilà, parce qu’après tout les épreuves anticipées marquent un tournant symbolique dans la vie de tout lycéen qui se respecte. Alors cher lecteur, cher petit toi, si tu t’en tamponnes le coquillard de ce palpitant récit, je t’autorise à stopper ici ta lecture, et sache même que je ne t’en voudrais pas trop. J’écris un peu tout ça au nom de la postérité, t’vois. Peut-être que je reviendrais relire cet article dans quelques années et que je me dirais alors, la voix tremblante d’émotion, à quel point j’étais stupide mignonne.

Les emmerdes ont commencé le mercredi 20 juin avec le français écrit. Il faisait beau et chaud dans mon patelin ce matin-là. J’aurais tellement aimé qu’il y ait de l’orage afin d’accentuer et de sublimer toute la portée dramatique de l’événement, un peu comme dans les tragédies. Et composer sous la pluie battante, y a rien de plus romanesque, c’est évident. Mais faudra visiblement faire sans. Tandis que je m’efforce de surmonter ma déception, se distinguent dans les couloirs du lycée, comme avant tout examen, deux catégories tout à fait antagonistes d’élèves :
Première catégorie – le stressé. Le stressé soule tout le monde en récitant un cours stéréotypé des plus ennuyeux et affreusement aseptisé qu’il s’empressera, telle une machine bien huilée, de recracher à toute vitesse une fois devant sa copie. Le stressé est celui qui te transmet sa paranoïa et son stress. Le stressé, tu as généralement envie de le frapper ; et, tu l’auras compris, mieux vaut donc l’éviter pour sa propre santé mentale (et pour sa santé physique à lui).
Seconde catégorie – le branleur. Le branleur, lui, c’est obviously l’exact opposé du stressé. Le branleur est venu les mains dans les poches, persuadé que le français, on y va "au talent", comme il dit. Le branleur ne maîtrise donc pas trop son sujet. Il ne connaît pas Victor Hugo et Baudelaire. "Hugo ? Hugo qui ? Tu parles de qui là ?" Le branleur s’en fout un peu du bac et te fait relativiser ton propre cas : tu te dis qu’il y a toujours pire que toi. Le branleur, au fond, joue ainsi un rôle de décompression très utile. Vive le branleur.

Dans les mêmes couloirs, tout le monde parie sur la poésie. God, WHY ? J’aime pas la poésie. Je hais la poésie. Les pages des manuels se tournent fébrilement, à la recherche d’ultimes citations à retenir ou de quelques biographies d’auteurs. D’autres potassent encore et encore leurs figures de style, assis sur les marches de l’escalier en bois décrépi. L’atmosphère est toute somme faite bien étrange, ce matin, elle semble même semi-religieuse. Si je n’étais pas à deux doigts de me pisser dessus d’angoisse, je pourrais presque en rire.
À 7 heures 45, on fait enfin rentrer tous les ES dans la grande salle multimédia. Convocation, carte d’identité, bouteille d’eau, pick-up, stylos, surligneurs, gomme, crayon à papier, agrafeuse, j’étale tout soigneusement sur ma table, fidèle à ma maniaquerie légendaire. À 8 heures, le sujet tombe. La poésie satirique. Hmm, damn... Le commentaire m’inspire pas ; l’invention est à coucher dehors ; ce sera donc... la disserte. Une fois la question de corpus joliment torchée, me voilà dès lors partie pour 3 heures de joie et d’allégresse dissertative où je me retrouve comme toujours à la bourre. Pourquoi je suis si lente, bordel ? Il a limite fallu m’arracher ma copie des mains à la fin. Je rigole d’ailleurs encore quand je revois la tête outrée de la vieille surveillante BCBG penchée sur moi au terme de l’épreuve.
"Mademoiselle ! Le temps imparti est maintenant écoulé ! Veuillez me donner votre copie main-te-nant ! Vous dépassez les bornes ! Il est midi et neuf secondes !"
"Raaah deux secondes, ça va, je finis ma phrase"
"Ahhh ! Ohhhh ! L’impertinente ! Elle m’achève ! Vous contestez mon autorité, jeune fille ? Vous rendez-vous compte ? Je pourrais vous faire interdire d’examen pendant cinq ans !"
J’aurais bien répondu LOL à ses glapissements étouffés, mais je pense qu’elle l’aurait potentiellement mal pris.

S’ensuit maintenant dans mon récit une petite ellipse où je saute volontairement l’épreuve de sciences pour en arriver à l’oral de french. Ouiii je sais, je te vois crier à l’arnaque derrière l’écran, je te vois réclamer davantage, petit être vorace, mais ne sois pas déçu, car l’épreuve anticipée de sciences chez les économistes est juste une grosse blague. C’est qu’ils ont de l’humour à l’Education Nationale, vois-tu. Et puis, entre nous, sache que j’ai sacrément la flemme de causer énergies renouvelables et ovocytes. Allons donc à l’essentiel. Causons français, tu vas aimer.
Je te laisse visualiser la chose : le lycée ZEP où j’ai passé mon oral étant situé en pleine zone industrielle au sein d’une "banlieue ultra-sensible", j’ai un temps imaginé un endroit débordant de violentes racailles animées du désir de me brutaliser contre un mur. Rien de tout cela, bien sûr ; mais de toute manière j’étais trop flippée pour prêter attention à quoi que ce soit. Tendue comme un slip, te dis-je. C’était pas beau à voir.
Seule dans un couloir immense, j’ai attendu longtemps avant de passer. Lorsque j’entre enfin dans la salle, l’examinateur m’annonce, tout joyeux :"oh ! vous avez de la chance, mademoiselle. Tous vos camarades ont eu le roman. Mais pour vous seule j’ai choisi la poésie !"

AAAAAAAAARRRRRGH

... C’est une blague ? Non. Je suis maudite. Vraiment.
J’ai jeté toutes mes idées sur le papier et me suis lancée la voix un peu tremblante. L’examinateur ne m’aura pas dit grand-chose, si ce n’est qu’il aura poussé quelques petits "hum !" que j’imagine être approbateurs. L’entretien a été très vite expédié. Il m’a ensuite demandé si j’étais bonne élève et quel sujet j’avais pris à l’écrit la semaine précédente. Puis il a commencé à commenter le plan de ma disserte, comme ça. "Oh oui... ça c’est bien pensé. Et vous avez parlé de ça ?" Tranquille le gars. Enfin, il m’a remerciée, je l’ai remercié de même, et je suis partie. J’étais en vacances. J’étais bien. J’étais soulagée. Je suis en vacances. Je suis bien. Je suis soulagée.
Deux mois de glandage m’attendent maintenant – bientôt il y aura les vacances, les vraies, les visites, l’étranger, les musées, les parcs, les JO, la plage, le stage à Paris, les baby-sittings, et surtout : le farniente.
Si tu as réussi à tout lire, cher lecteur, tu gagnes le droit que je te souhaite de très bonnes vacances à toi aussi. Et un bisou par la même. Je te félicite.
Allez, ne t’inquiète pas : je t’aime quand bien même que tu aies eu la flemme de tout lire.

dimanche 10 juin 2012

Intermezzo


Il est maintenant 6h37 et je reste là, en silence, seule, assise en tailleur sur mon lit, face à mon ordinateur, les yeux rougis et engourdis de fatigue après la (trop) longue soirée de fin d’année d’hier. À côté de moi, noyés dans une pénombre rougeâtre, les vieux exemplaires jaunis de L’écume des jours et deLa Nausée, qui expirent doucement sur mon oreiller au tissu soyeux mais glacé, s’entassent en un flot épais de pages cornées odorantes au sein desquelles je laisse nerveusement courir mes doigts crispés. Sous mon front brûlant et légèrement perlé de sueur, mon cerveau crépite au rythme de l’habituelle pluie enragée qui s’abat au-dehors sur les toits environnants, aussi enragée que l’étaient tout à l’heure tous ces gens, qui m’apparaissent à l’instant derrière mes paupières palpitantes, dansant en cercle dans le gigantesque salon de T., puis enlevant leurs vêtements au fur et à mesure que l’élévation des clameurs individuelles mourait étranglée dans la suffocation meurtrière de la musique assourdissante. Parfaite synchronisation, osmose commune dans la danse, éphémère fusion des corps embrasés. Aïe. Et dites-moi quel est le con qui avait, bien entendu à l’insu de tous, glissé du rhum dans les boissons non-alcoolisées, histoire de "mettre de l’ambiance dès le début" ? Parce que je lui dois un sacré mal de tête non prévu, maintenant. Et une furieuse envie de vomir. Merci l’ami. Puis, entre nous, le rhum c’est quand même sacrément dégueulasse – je préfère donc ne pas repenser à tous les verres que j’ai innocemment vidés cul sec, sans réaliser que je voyais de plus en plus trouble, sans réaliser que je n’étais même plus tout à fait consciente ni de mes agissements, ni des multiples borborygmes étouffés qui m’échappaient par intervalles réguliers en déclenchant l’hilarité générale. Parce que l’alcool rend gaie et drôle la moindre chose qui ne l’est originellement pas ; et, parce qu’au fond, il est évident que l’enterrement d’une année et le début de l’été doivent se célébrer en groupe et dans les règles de l’art : par l’abus d’alcool.

Je crois que je n’ai jamais aimé les fins d’années comme celle-ci ; je suis trop sensible. En fait, je n’ai jamais aimé les fins en elles-mêmes. Combien de fois ai-je pleuré de toute mon âme en tournant la dernière page d’un bouquin qui m’était cher ou en achevant de regarder l’ultime épisode d’une série ? Combien de fois ai-je pleuré de toute mon âme en apprenant la mort de quelqu’un que je connaissais, même vaguement ? Les fins ne sont pas à mes yeux le couronnement de tel ou tel effort, l’accomplissement d’une vie, un dénouement paisible et attendu, mais la plus atroce et la plus inéluctable des dislocations, une séparation à l’anticipation impossible. Qu’il y a-t-il après la fin qui nous attend tous ? Est-ce qu’on se contente seulement, un beau jour, de fermer les yeux à jamais, puis de rendre son dernier souffle de vie ? Ça me fait mal de croire en l’idée d’une existence vaine et envolée en une poignée de secondes. C’est absurde. C’est stupide. Et je comprends mieux pourquoi l’on a inventé toutes ces histoires de paradis et d’enfer : pour rassurer les gens, pour leur donner l’espoir – l’illusion ? – d’un hypothétique "après" auquel se raccrocher sa vie durant. C’est sûr que si l’on s’efforce d’y croire, cette idée est... tranquillisante, en un sens. À l’aube de sa propre fin, on se dira que l’on aura su se montrer utile à son échelle et que, d’une façon ou d’une autre, l’on sera par conséquent récompensé pour cela. On aura vécu, même si, en ce qui me concerne, je suis loin d’avoir encore ressenti toutes ces choses-là – pour être honnête, je ne ressens rien. Je me contente ainsi de vivre au jour le jour et d’essayer de prendre les bonnes décisions à propos des autres et de moi-même. Je suis certainement une fille des plus banales. J’ai des cheveux châtain clair et des yeux vert brillant ; je suis sans doute égocentrique, je tiens un blog, j’aime bien me plaindre pour embêter les autres ; mais surtout, et peut-être est-ce là que je me différencie un peu des autres, je suis obsédée par la volonté de laisser derrière moi quelque chose. Un souvenir, une trace, des écrits : que l’on se dise que cette fille-là a pensé et consigné ça, ça et ça. Que l’on se dise que j’ai moi aussi vécu et goûté un tant soit peu à l’ivresse de la postérité, une modeste postérité sans fin tangible.
Mais je suis décidément bien trop exigeante, ce matin.