jeudi 29 août 2013

Looking in the black mirror

C'est drôle quand même cette tendance que nous avons, notamment lorsque nous en venons à l'heure des bilans, à séparer inconsciemment nos souvenirs, à les démêler pour in fine tout simplement occulter les mauvais des bons. Pouf, comme ça c'est fait et on ne s'en rend pas compte. On ne veut pas garder ces choses qui entachent notre bonheur, ces idées noires que nous avons broyées, ressassées quand ça n'allait pas bien, non, on veut juste le bon, le bien ; le meilleur de nous-mêmes. Je suis moins amère que lucide et ayant cette impression étrange que nous passons notre temps à nous rouler littéralement dans la mauvaise foi. Nous nous y blottissons parce qu'elle est plus confortable ; ainsi débarrassés, engourdis dans les doucereux mais salvateurs volutes de nos propres mensonges, nous avons une meilleure image de notre personne, une image taillée sur mesure, pour nous et par nous. Nos actes honteux passent à la trappe, nos moments de tristesse, aussi, parce qu'à défaut d'être embarrassés par eux ils nous sont cette fois trop douloureux. C'est nécessaire à notre survie. J'appelle ça se mentir à soi-même, et le mensonge, ce mensonge, est nécessaire à notre survie individuelle et collective. Je préfère au refoulement freudien la vision terre-à-terre et fondamentalement plus cruelle à notre égard de Sartre. Nous avons notre part de responsabilité dans l'affaire bien que le plus souvent, nous opérions ce balayage sans le réaliser d'un iota, tout du moins sans le réaliser sur le coup - après coup c'est une autre histoire. Lorsque je tente de me souvenir de telle ou telle période, lorsque j'énumère mentalement les événements passés, beaucoup manquent à l'appel : les petits désagréments, les grands même, je les oublie, j'en ai la fâcheuse tendance, oui, et ce dont je me rappelle au final, passablement frustrée du constat, ce sont ces moments glorieux, lorsque tout me souriait. Il n'y a rien eu d'autre que du bonheur dans ma vie ? Du reste les détails sont flous, les contours distants. Encore une histoire de double conscience...

J'aimerais en un sens me souvenir de tout. Pour avancer, apprendre de mes erreurs, ne pas me pardonner quand je n'ai pas à l'être. Parce que des erreurs, j'en commets tellement... Or assumer ensuite mes échecs m'est insupportable. Je les ressasse constamment, j'ai envie de me foutre des claques pendant tout ce temps, de hurler, de tout casser autour de moi. Avant de me calmer brutalement, éreintée par l'effort qu'exige la rage qui est retenue, j'en deviens colérique, aigrie, je simule l'état d'esprit sain pour continuer à être sortable ; non par-dessus tout je n'aime pas l'échec, je ne veux pas de lui dans la mesure où j'ai le sentiment particulièrement égocentrique qu'il me rabaisse au lieu de m'enseigner quelque chose. Petite, les donneurs de leçons, les grands moralistes bien-pensants, je les haïssais déjà du plus profond de mon être : j'aime être celle, en effet, qui s'administre sa propre morale. Et pourtant, voilà mon paradoxe... Ce fait de pouvoir établir les principes qui doivent réguler sa vie m'apparaît autant comme un cadeau que comme un fardeau. Il faudrait pour le pouvoir parfaite omniscience de soi-même, parfaite connaissance de ses désirs, possibilités, erreurs passées, présentes, futures, il faudrait savoir ce qui est véritablement bon pour soi. Et comment l'éternelle indécise que je suis pourrait-elle y parvenir ? Et puis mes propres lois ?... comment pourrais-je avoir la prétention abominable de me qualifier comme étant trop spéciale pour avoir à me soumettre aux us et coutumes d'un "commun des mortels" dont je me désolidariserais ? N'est-on pas mieux à demeurer, rassuré et la conscience apaisée, rattaché à ce dernier ? 

Se souvenir de tout est un poison, l'omniscience parfaite le pire des fardeaux et ainsi l'humanité, pour y échapper, s'avère toutes propensions à l'oubli et au pardon d'elle-même. Assez triste constat, assez triste condition. Une part de nous archive nos souvenirs, méthodiquement, irrévocablement. Et nous allons mieux en tombant dans l'oubli, dans cette douceur ouateuse et délicieuse de l'oubli. Nous nous en portons mieux. Mieux, mieux, mieux, toujours mieux... On ne retient que les choses dont l'on juge qu'elles pourraient nous être bénéfiques ; et ainsi par-delà la douleur qu'ils suscitent en moi au premier abord, je retiens une chose de mes échecs : ma formidable capacité à me relever, jambes tremblantes, pour mettre au bout d'un moment et sans plus réfléchir davantage cette douleur de côté, pour l'isoler soigneusement cadenassée dans un coin perdu de mes pensées. Tellement bien cadenassée et cachée qu'elle échoue à y demeurer, plantée là dans mon cerveau, tellement bien cachée en effet qu'elle s'évapore au fil du temps qui passe et qui érode les fondations de sa raison d'être. Nous savons que nous oublions le mal qui nous est fait et que nous faisons mais au fond, en vérité, c'est ce que nous avons voulu. Et pourquoi ? Pour échapper à ce mal. Pour vivre.

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