lundi 14 mai 2012

Au bout du tunnel

Je crois que j’ai toujours renvoyé aux autres une image assez étrange de moi. Je me rappelle que lorsque j’étais petite, mes camarades me trouvaient décalée, un peu folle, et je crois aussi qu’à travers leurs yeux francs d’enfants, ils avaient en quelque sorte d’ores et déjà cerné ma personnalité. Au primaire, j’étais souvent la Luna Lovegood de service, l’excentrique amusante, celle qui faisait rire et à qui on allait volontiers confier ses peines de cœur ou d’amitié parce qu’on éprouvait spontanément à son égard une confiance toute naturelle. J’aime à me rappeler ces moments-là aujourd’hui, car tout y semble rose et beau, comme si l’ensemble de mes premières années n’avait constitué qu’une longue bulle léthargique dans laquelle je m’étais totalement épanouie et dont je garde dorénavant le meilleur des souvenirs : celui de l’insouciance. J’aime à me rappeler ces moments-là aujourd’hui, car me pencher sur le passé est pour moi le meilleur moyen d’avancer, seule ou accompagnée. Il faut dire qu’en grandissant et en perdant de mon exubérance, je me suis considérablement renfermée sur moi-même et j’ai dès lors, pour ainsi dire, développé au début de mon adolescence un sentiment de dégoût profond vis-à-vis de nombre de mes camarades collégiens que je trouvais, dans leur quasi globalité, horriblement bourgeois de par leur exécrable manière d’être et de se comporter – la même éducation laxiste et permissive dont ils avaient été sujets expliquant leur besoin perpétuel de crier à la face du monde leur insatisfaction et le moindre de leur caprice de petit pourri-gâté. Furieux de ce traitement de défaveur, ils me rendaient bien l’attitude volontairement dédaigneuse que je leur témoignais, et plus l’on disait de moi que j’étais hautaine et méprisante, plus j’exultais – drôle de paradoxe au final que cette "crise d’ado" honteuse traversée par chacun au collège. Je paierais cher afin d’être en mesure de pouvoir effacer définitivement le moi de mes douze ans lorsque j’en arrive à relire douloureusement quelques-uns de mes pavés d’emokid torturée, à l’époque assidûment publiés sur mon skyblog et qui sont aujourd’hui, Dieu merci, soigneusement dissimulés dans les tréfonds des fichiers de mon ordinateur, oubliés, abandonnés, mais toujours présents. Les jolis souvenirs.

Heureusement, en fin de compte, que cette période-là ne dure jamais longtemps et qu’elle débouche généralement sur une autre, nettement plus socialement acceptable et plus vivable. Je n’aurais pas pu me complaire davantage dans ce statut passager de fausse rebelle en crise : maudire les autres est sur le long terme une activité bien trop fatigante émotionnellement puisqu’elle requière une énergie certaine. Et comme ça a l’air facile, au contraire, de mûrir de belles vocations philanthropes et de s’ouvrir à ses semblables... Alors peut-être est-ce par esprit de contradiction que je refuse tant que je peux de rejoindre ce camp-là, celui des gentils, car oui, en vérité je hais les choix de facilité et, surtout, j’ai trop aimé détester depuis tout ce temps les mêmes petits bourges pour renoncer maintenant à ce plaisir inavouable. Il est trop tard désormais pour que je change, et déterminée comme je le suis, personne ne me fera démordre de cette opinion. Obstinée et sûre de soi sont de fait les qualificatifs qui peuvent m’échouer en apparence ; or si l’on prend la peine de creuser un peu cette carapace dont je me pare inconsciemment, mes faiblesses et mes défauts apparaissent très rapidement, limpides, clairvoyants même. Je crois que je ne suis pas aussi forte que j’aimerais le laisser paraître, aussi forte que j’aimerais être tout court, et voilà mon grand malheur. Je suis constamment obligée de me cramponner à quelque chose pour continuer à aller de l’avant ; et, sans que je sache en donner la cause profonde, l’idée d’avoir un objectif et un idéal clairement définis me rassure, me tranquillise : je sais où aller et sur quoi me reposer en cas de besoin. C’est peut-être, au fond, la raison qui m’a poussée à écrire. Chaque instant de ma vie qui n’est pas retranscrit d’une façon ou d’une autre dans mon journal, moins souvent sur ce blog, ou immortalisé par quelques photos, j’ai l’impression de l’oublier et de le bannir peu à peu de ma mémoire, que je veuille ou non l’en chasser. Je me suis rendue compte, une fois, que je ne me rappelais pas grand-chose de plusieurs périodes de mon existence, voire que je ne me rappelais rien du tout de certaines. Or rien ne m’angoisse davantage que le néant rôdant dans ma tête, la menaçant, l’écrasant, car j’ai le sentiment d’être perdue au beau milieu d’un tunnel étroit mais dont je ne distingue pas le bout tant les aveuglantes ténèbres l’enveloppent. Et cette vision me donne l’impression angoissante d’oublier qui je suis réellement.

2 commentaires:

  1. On a tous besoin de faire des rétrospections pour comprendre qui nous sommes. Même si tu as envie de changer tu ne peux pas occulter tout ce qui t'a construit jusque là. Il y a des choses avec lesquelles il faut vivre et d'autres non. Tu as changé, tu changes et tu changeras. Mais tu resteras la même. (:

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    1. Après avoir écrit cet article et avec le recul, je me suis fait exactement la même réflexion. :)

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