lundi 23 avril 2012

Such a perfect world

J’ai toujours eu l’impression profonde que les vacances sont comme une sorte de faille spatio-temporelle à l’issue improbable, un gouffre béant dans lequel on s’enfoncerait par habitude, tête relevée, yeux grands ouverts, électrisé de part et d’autres à la pensée de l’inexorabilité libératrice de la situation. Pourtant, à chaque fois, ce précieux temps libre qui devient nôtre s’écoule sans que nous ne nous en rendions compte, rapide, futile, parfois absurde, et surtout aussi insaisissable qu’une poignée de grains de sable sur lesquels on tenterait de raffermir son emprise en crispant ses doigts. Quand l’on reste chez soi, seul, les journées s’évanouissent le plus souvent uniformément, tout doucement ; et l’on demeure là, à se laisser bercer par le rythme de la pendule qui scande son tic-tac régulier dans le lointain, tout en savourant enfin ce moment de solitude tant attendu, que personne ne peut venir rompre – non, personne à qui l’on est forcé de faire la bise, de sourire puis de parler avec alors que notre instinct nous hurle simultanément son désespoir. Et l’on peut penser brièvement à ces personnes-là, celles qui hantent notre quotidien, celles que nous voyons chaque jour, lorsque nous les croisons dans le bus, dans les rues de la ville, dans les souterrains de la gare, dans les antiques couloirs du lycée. Une vision qui, enfin, nous arrache un léger sourire de satisfaction à l’idée qu’elles se trouvent au même moment à des milliers de kilomètres de nous, parties en Argentine, à Tokyo, à Bali, à Las Vegas. Parfait, parfait tout ça, je me dis. Personne ne viendra troubler ce moment de semi-quiétude, de liberté retrouvée où j’ai tout le loisir de sortir voir mes amis sans avoir à demander la permission, d’aller faire les boutiques, de pouvoir passer ma journée devant l’ordi, à enchaîner, pareille à une boulimique, les films et les épisodes de séries, et de procrastiner comme bon me semble devant la télé ou le nez plongé dans le premier bouquin en VO d’Harry Potter alors que le pavé de Zola m’attend sagement sur mon bureau, n’attendant qu’à être lu avec enthousiasme – malheureusement pour lui, il le sera, oui, mais au dernier moment, lorsque le temps se fera pressant avant l’échéance fatidique du contrôle et que je m’arracherai les cheveux sur mes prises de notes éparses.
Une quiétude et une liberté qui viennent à manquer lorsque, le soir, mes parents rentrent tous les deux de leur travail, et que l’ambiance jusque-là légère se fait par moments si lourde, si pesante. Je pensais avoir retrouvé un semblant d’équilibre dans ma vie familiale, et je m’en réjouissais, mais il s’avère que ce n’est pas tant le cas que ça. Bien sûr, j’aspire à ce que les choses s’améliorent entre eux, à ce que tout redevienne comme avant, qu’ils soient de nouveau unis ; mais plus le temps passe et plus j’en doute. J’ai peur, j’ai peur pour l’avenir, plus peur que je n’oserai l’avouer aux yeux de tous. Dès lors que je suis seule, inoccupée, mes craintes émergent en m’étreignant violemment, et, au fil des minutes, elles deviennent mes fidèles compagnes, dont je me passerais d’ailleurs volontiers...

Et un matin, tôt, il y peut y avoir la dispute de trop qui me réveille, puis le sentiment croissant d’asphyxie et l’oppression coutumière qui s’en dégage. L’envie soudaine de prendre le large, vite, de m’éloigner le plus loin possible. Alors j’attends que les portes se referment en claquant, que les voitures de mes parents s’éloignent dans des directions opposées, et je quitte mes couvertures encore chaudes. Je m’habille d’un vieux jogging noir, revêts un sweat assorti dont je rabats la capuche sur mes cheveux, puis je sors. Sur le parvis de la résidence, l’air vif et frais me fait plisser les yeux et frissonner – je ne me suis pas assez couverte, mais tant pis, je ne ferai pas demi-tour, et, d’un pas décidé, je prends la direction de la forêt voisine sans me retourner. À ma droite, le soleil pointe furtivement, comme le faible reflet d’une lueur d’espoir fugitif se dessinant dans l’horizon de l’aurore naissante, assombrie par d’épais nuages cendrés. Tout en essayant de me calmer, j’inspire l’air chargé d’effluves printanières à grandes goulées, à une cadence effrénée, mais c’est peine perdue d’avance. Lorsque je franchis enfin la lisière des bois, j’accélère le rythme de mes pas, et je cours, je cours. Au fur et à mesure que je m’engouffre dans le couvert protecteur des arbres, mes pensées s’entrechoquent de plus belle, cognant les parois de mon crâne sans le moindre répit ; pourtant, machinalement, je continue à allonger ma foulée sur le sentier défoncé et jonché de feuilles boueuses. Je crois que j’en oublie tout danger, toute peur, que j’oublie les crimes morbides qui ont été associés à cette forêt, les femmes que l’on y a retrouvées carbonisées, découpées en morceaux, à quelques kilomètres de là même ; que j’oublie les éventuels psychopathes qui pourraient se cacher, tapis dans l’ombre à quelques mètres de moi, prêts à surgir. Après tout, tu n'es pas une "courageuse" Gryffondor pour rien, ahah, et le Choixpeau de Pottermore a sûrement lu au plus profond de ton drôle d’inconscient, susurre une petite voix ironique dans ma tête.
Car au fond ce n’est pas le présent et ses risques qui m’angoissent, c’est le futur. C’est la perspective d’ignorer quel tournant ma vie prendra dans un peu plus d’un an lorsque je quitterai mon foyer et la ville qui m’a vue grandir ; mais c’est aussi la perspective d’ignorer où j’habiterai, avec qui, quelles études j’aurai commencées, et dans quel but. C’est, enfin, peut-être la perspective de grandir tout court qui m’effraie, la perspective de devoir bientôt voler de mes propres ailes et d’être confrontée à mes responsabilités futures, de devoir faire des choix dont je sais d’ores et déjà qu’ils seront difficiles. C’est la peur de perdre ce qui m’était familier et de me retrouver sans repères, perdue, isolée. Voilà tous les sentiments qui ressurgissent, confus, à l’instant où je retrouve ma si chère solitude, celle qui m’est d’ordinaire salutaire, qui me permet de réfléchir froidement, à l’écart de tout problème, mais qui, dans le cas présent, ne me procure qu’une sensation de vertige tourbillonnante. Je me sens vulnérable, perdue dans cette forêt trop sombre et trop étouffante. Dans le ciel, les timides rayons de soleil qui perçaient tout à l’heure ont maintenant disparu – j’ai presque l’étrange sentiment que l’atmosphère pesante que je cherchais à fuir m’a suivie jusqu’ici.


La petite clairière où je me suis arrêtée après ma course folle est déserte, morne, vierge de toute empreinte. Je n’entends ni les oiseaux chanter, ni la moindre branche craquer, ni la moindre feuille remuer dans les arbres, mais je choisis malgré tout l’endroit pour m’accorder un répit et me glisse ainsi le long d’un tronc bancal recouvert de mousse. J’enfouis mon visage entre mes genoux remontés et, lentement, je passe en revue les images qui m’assaillent avec rage. Lentement, dans le silence assourdissant, je laisse exploser les craintes qui agitent mon crâne et que je tentais jusque-là de brider. Mais je finis par me raisonner, petit à petit, et je me reprends d’une main de maître jusqu’à ne plus rien laisser paraître extérieurement de mes émotions. Il faut que j’arrête de me ronger les sangs pour les autres et pour des interrogations sans réponses.
Alors que je termine de ruminer ces mêmes pensées moroses, la pluie se met brusquement à tomber à verses et le vent se lève, glacial et violent. Je me prends une giclée de gouttes en plein visage, et, malgré ma capuche, mes cheveux sont rapidement tout emmêlés dans mon dos, rendus poisseux par l’eau dégoulinant de mon cou. J’attends que l’averse passe, réfugiée sous un cèdre majestueux ; mais très vite, elle dégénère en orage, et je n’ai pas d’autre choix que de me mettre à courir à travers les bois pour rentrer chez moi, échevelée et tremblante, tandis que le tonnerre proche gronde et que la foudre pourrait me tomber dessus à n’importe quel moment. J’ai vraiment l’air d’une parfaite inconsciente, je m’en rends compte, maintenant.
Une fois arrivée, au lieu de remonter enfin à mon appart’, je m’arrête au porche couvert de ma résidence, et je me laisse tomber sur les marches, fébrile, le regard rivé aux nuages noirs qui zèbrent le ciel anthracite. J’ai depuis mon enfance la curieuse fascination des orages, et j’aime plus que tout contempler la trame des éclairs déchirant l’harmonie du ciel en un fracas tumultueux – ce déchaînement violent d’éléments contre lequel on ne peut rien faire m’apaise indéniablement. Alors je reste là, prostrée sur mes marches mais rassérénée, à l’abri des regards, comme protégée de tous, sauf de cette pluie battante qui lave tout, les douleurs, les chagrins, les joies, et qui est un peu en soi l’occasion d’une possible rédemption. D’une renaissance.

1 commentaire:

  1. Ravie de voir que tu me lis :)
    Dommage pour tes parents, je ne peux que te souhaiter de garder la tête haute.

    C'est quoi ton ptit nom sur Pottermore sinon ? hihihi Poufsouffle représente !!!!

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