Je
me souviens d’eux, dans le bus ; sur les sièges du fond. L’une debout,
l’autre assis. Même tête de consanguins, même vêtements super classieux, même
ton de connivence entendue et d’accord implicite. Je m’en souviens ;
j’étais là, à côté de lui, et, tête baissée et mains posées sur mes genoux, je
les écoutais parler, le regard oscillant du pull en cachemire de la fille aux
mocassins marrons de mon voisin. Je frôlais à ce moment-là ce monde bourgeois
auquel je n’appartiendrai jamais, je touchais du doigt cette bulle dorée, celle
qui d’ordinaire est censée faire rêver mais qui me laissait juste morne et dépourvue
d’envie à son égard, et puis je rêvassais, en fait, comme si j’étais seule,
comme si une paroi de verre se trouvait entre eux et moi et que leurs voix
étouffées me parvenaient en décalé depuis l’autre côté. Ils disaient qu’ils se
verraient cet été, qu’ils se retrouveraient dans leurs immenses propriétés
respectives en Normandie et puis à Nîmes. Ils disaient à quel point ce serait
génial, ils s’enthousiasmaient, la voix curieusement posée comme ils l’ont tous,
évoquant leurs connaissances communes rencontrées lors de rallyes et de dîners
mondains. Je n’existais plus, à ce moment-là. C’était étrange, je crois, mais
j’ai surtout réalisé que pour eux, quels que soient mes efforts présents et
quoi qu’ils deviennent à l’avenir, je ne méritais pas la moindre foutue
considération et ne la mériterai jamais. Tout ce à quoi j’aurai droit, c’est à un
mépris sourd et latent dissimulé derrière l’artifice plaisant de grands
sourires hypocrites et condescendants. Alors je me suis demandé si je faisais
les bons choix pour l’année prochaine, et tout en détournant le regard, j’ai
augmenté le volume de ma musique jusqu’à m’en faire sauter les tympans.