Il est maintenant 6h37 et je reste là,
en silence, seule, assise en tailleur sur mon lit, face à mon ordinateur, les
yeux rougis et engourdis de fatigue après la (trop) longue soirée de fin
d’année d’hier. À côté de moi, noyés dans une pénombre rougeâtre, les vieux
exemplaires jaunis de L’écume des jours et deLa Nausée, qui
expirent doucement sur mon oreiller au tissu soyeux mais glacé, s’entassent en
un flot épais de pages cornées odorantes au sein desquelles je laisse
nerveusement courir mes doigts crispés. Sous mon front brûlant et légèrement
perlé de sueur, mon cerveau crépite au rythme de l’habituelle pluie enragée qui
s’abat au-dehors sur les toits environnants, aussi enragée que l’étaient tout à
l’heure tous ces gens, qui m’apparaissent à l’instant derrière mes paupières
palpitantes, dansant en cercle dans le gigantesque salon de T., puis enlevant
leurs vêtements au fur et à mesure que l’élévation des clameurs individuelles
mourait étranglée dans la suffocation meurtrière de la musique assourdissante. Parfaite
synchronisation, osmose commune dans la danse, éphémère fusion des corps
embrasés. Aïe. Et dites-moi quel est le con qui avait, bien entendu à l’insu de
tous, glissé du rhum dans les boissons non-alcoolisées, histoire de
"mettre de l’ambiance dès le début" ? Parce que je lui dois un sacré
mal de tête non prévu, maintenant. Et une furieuse envie de vomir. Merci l’ami.
Puis, entre nous, le rhum c’est quand même sacrément dégueulasse –
je préfère donc ne pas repenser à tous les verres que j’ai innocemment
vidés cul sec, sans réaliser que je voyais de plus en plus trouble, sans
réaliser que je n’étais même plus tout à fait consciente ni de mes agissements,
ni des multiples borborygmes étouffés qui m’échappaient par intervalles
réguliers en déclenchant l’hilarité générale. Parce que l’alcool rend gaie et
drôle la moindre chose qui ne l’est originellement pas ; et, parce qu’au
fond, il est évident que l’enterrement d’une année et le début de
l’été doivent se célébrer en groupe et dans les règles de l’art : par
l’abus d’alcool.
Je crois que je n’ai jamais aimé les
fins d’années comme celle-ci ; je suis trop sensible. En fait, je n’ai jamais
aimé les fins en elles-mêmes. Combien de fois ai-je pleuré de toute mon âme en
tournant la dernière page d’un bouquin qui m’était cher ou en achevant de
regarder l’ultime épisode d’une série ? Combien de fois ai-je pleuré de
toute mon âme en apprenant la mort de quelqu’un que je connaissais, même
vaguement ? Les fins ne sont pas à mes yeux le couronnement de tel ou tel
effort, l’accomplissement d’une vie, un dénouement paisible et attendu, mais la
plus atroce et la plus inéluctable des dislocations, une séparation à
l’anticipation impossible. Qu’il y a-t-il après la fin qui nous
attend tous ? Est-ce qu’on se contente seulement, un beau jour, de fermer les
yeux à jamais, puis de rendre son dernier souffle de vie ? Ça me fait mal
de croire en l’idée d’une existence vaine et envolée en une poignée de
secondes. C’est absurde. C’est stupide. Et je comprends mieux pourquoi l’on a
inventé toutes ces histoires de paradis et d’enfer : pour rassurer les
gens, pour leur donner l’espoir – l’illusion ? – d’un hypothétique
"après" auquel se raccrocher sa vie durant. C’est sûr que si l’on
s’efforce d’y croire, cette idée est... tranquillisante, en un sens. À l’aube
de sa propre fin, on se dira que l’on aura su se montrer utile à son échelle et
que, d’une façon ou d’une autre, l’on sera par conséquent récompensé pour cela.
On aura vécu, même si, en ce qui me concerne, je suis loin d’avoir
encore ressenti toutes ces choses-là – pour être honnête, je ne ressens rien.
Je me contente ainsi de vivre au jour le jour et d’essayer de prendre les
bonnes décisions à propos des autres et de moi-même. Je suis certainement une
fille des plus banales. J’ai des cheveux châtain clair et des yeux vert
brillant ; je suis sans doute égocentrique, je tiens un blog, j’aime bien me
plaindre pour embêter les autres ; mais surtout, et peut-être est-ce là que je
me différencie un peu des autres, je suis obsédée par la volonté de laisser derrière
moi quelque chose. Un souvenir, une trace, des écrits : que l’on se dise
que cette fille-là a pensé et consigné ça, ça et ça. Que l’on se dise que j’ai
moi aussi vécu et goûté un tant soit peu à l’ivresse de la postérité, une
modeste postérité sans fin tangible.
Mais je suis décidément bien trop
exigeante, ce matin.
Ah les soirées, ça m'inspire rien qui vaille. Je crois je serai plus en paix avec quelques potes et quelques verres, point à la ligne. Je ne sais même pas si je tiens l'alcool ou pas. (enfin je sais pas si boire cul sec trois verres de porto à 14 ans et très bien se comporter signifie tenir l'alcool) x)
RépondreSupprimerCa fait réfléchir la mort, hein ? Pascal a une vague idée sur le sujet, au passage.
Je suis pas non plus la plus grande adepte de soirées de ce genre... On va dire que c'était pour "décompresser" haha :)
Supprimer(passer du porto à la vodka ça fait mal) (et c'est dégueulasse en plus) (et pas glorieux)
Référence notée. x)
D'habitude, j'aime bien ton écriture, mais là, j'ai une impression mitigée. Je ne saurais dire pourquoi.
RépondreSupprimerQuant au contenu, il existe des fins d'année qu'on attend avec impatience, malgré la peur du vide d'après. Plus jeune (collège, lycée aussi, mais déjà un peu moins), la perspective des grandes vacances ne m'enchantait guère. ça s'annonçait long, très long. En prépa, je n'ai pas considéré les grandes vacances comme des vacances mais comme un entre-deux, où tu bosses seul chez toi, et où tu essaies de rattraper le retard accumulé de l'année. Et du retard, il y en avait. Alors les vacances passaient vite. Et puis cette année, en cette fin d'année de cube, je n'ai qu'une envie: que ces deux semaines d'oraux prennent fin -enfin. (ces deux derniers mots s'enchaînent avec une élégance folle mais passons). Je ne sais pas encore très bien ce que je vais faire de mon été, je ne sais pas ce que je vais faire l'année prochaine (tout dépend de ces satanés oraux, eh oui), alors il n'y a rien de rassurant dans l'après. Mais j'ai juste envie que cette semaine d'attente (1h30 de concentration intense par jour (sauf régime spécial pour les journées commerce) et le reste à attendre le prochain en ouvrant ses bouquins sans réussir à se concentrer), juste que cette semaine prenne fin. Même si je dois en être déçue, triste, anéantie, même si mon orgueil et ma fierté en prennent un coup. Ce sera fini. A jamais. La prépa sera une période révolue. Bientôt. Dans trois oraux ENS et trois oraux ESSEC. Très bientôt.
Les grandes vacances ça dépend de la façon dont on les occupe... Si on ne part pas et qu'on reste chez soi, c'est LONG. Trop long. Je suis d'accord. (quand je pense à la retraite j'ai envie de vomir tant l'inactivité m'angoisse)
SupprimerAdmissible à l'ENS et à l'ESSEC ? Enchantée que tu me lises, génie. :) Tu es khâgne AL ? Je te souhaite courage pour la fin des oraux <3 (mes lecteurs sont les meilleurs haha ! tu vas tous les déchirer)