J'en
ai fini de me morfondre ici : je crois que je suis heureuse.
Finalement. J'ai passé un été pour le moins relaxant, j'ai
beaucoup réfléchi aussi – j'en ai enfin pris le temps. Londres
était formidable, c'était prévisible. J'en ai ramené des
souvenirs à la pelle, des vêtements de Shoreditch, des breloques de
Camden, des jupes de Topshop et j'en suis revenue des étoiles plein
les yeux. Nooon... je ne veux pas aller à Paris, laissez-moi
iciiii, une petite place au King's College ça devrait se trouver...
Ce n'était pas la première fois que j'y allais, ni la deuxième,
ni la troisième, c'est que je deviens une habituée. Mais je ne me
lasserai jamais de cette ville et pour cause, j'y trouve tout ce
que j'aime : de l'excentricité, de la tolérance ambiante, des
écureuils gris tout sautillants, des scones, des salons de thé, des
marchés, des bus à l'impériale, des artères grouillantes de vie,
de la... politesse de la part des gens. Chose qui semble rare à Paris.
Je
déménage dans trois jours, j'entre en HK dans cinq. Le compte à
rebours est bel et bien enclenché. Je ne réalise pas à quel point
ma vie va changer, c'est ce que je me suis dit en arpentant Fleet
Street l'autre jour, je me laisse porter par le courant sans
réfléchir. Je ne m'y débats même plus, non, j'attends de voir où
ledit courant me mènera. Ma valise n'est toujours pas prête, je ne
l'ai même pas encore remontée de ma cave. Je ne sais pas quels
livres emporter, je ne sais pas quels tee-shirts, quels jeans
choisir ; la simple vue de mon étagère vidée de son contenu
me fend le cœur. J'ai l'impression de me déraciner. Je suis pleine
de doutes mais fondamentalement heureuse, éternel paradoxe. J'aime les
matières que je vais étudier. J'aime mon futur lycée, son
architecture centenaire et emplie d'histoire, ses longs couloirs
solennels, sa porte d'entrée boisée, gigantesque, impersonnelle,
qui m'a me fait me sentir minuscule la première et dernière fois
que je l'ai franchie – c'était en juillet. Bac en poche, obtenu
avec une moyenne pas trop dégueu et les félicitations du jury, je
m'en étais allée conquérante à la capitale finaliser mon
inscription. Choix d'options, de langue ancienne, j'ai mis du temps à
me décider mais je suis restée classique, finalement. Latin, géo,
LV2, j'étais fin prête le jour J. J'ai rendu mon dossier avant de
filer sur les quais de Seine, ce jour-là. Il faisait beau, j'ai
mangé McDo, ça ne pouvait être que parfait. Le sentiment de
sérénité du devoir accompli. Quartier latin, je t'aime déjà.
Je
déménage dans trois jours, j'entre en HK dans cinq. Je mentirais si
je disais ne pas avoir peur. J'ai peur, oui. De rater. De pas être
faite pour la prépa. Je ne veux pas vivre uniquement pour mes
études, je ne veux pas tourner autour d'elles, je ne veux pas passer
mon entière vie le nez dans les bouquins. Je veux autre chose aussi
à côté, je veux reprendre la danse, je veux vivre, continuer à
sortir, à aller à des concerts, je veux ma dose pour souffler. Je
ne tiendrai pas sans, alors je ne sais pas comment encore mais je me
la ménagerai, cette bulle. Je m'en fais la promesse. J'ai choisi ces
études non pas pour y souffrir constamment mais pour m'y épanouir
et réussir – être autre chose qu'une copie de concours. Petite
idéaliste que je suis. Fidèle à moi-même.
Je
suis allée me promener dans mon nouveau quartier mercredi.
Provinciale fraîchement débarquée, au moins je ne me suis pas
trompée de ligne et j'ai fièrement débarqué claquant mes talons
dans l'Ouest déserté de la capitale. Le coin est spécial, le
nombre de crottes de chiens y est plus élevé que partout ailleurs
dans Paris – conséquence du nombre de vieilles riches qui y
promènent leur sale petite bestiole chouchoutée dans les meilleures cliniques vétos de la ville. "Oh et puis les
gens n'auront qu'à faire attention à là où ils mettent les pieds,
right ?"
Je
me fais à l'idée de partir dans le fond. Je ne suis pas une exilée,
je ne pars pas à l'autre bout du monde, ce départ, ce n'est que la
fin d'une ère. D'une période. Et je suis dans l'entre-deux. Dans
l'expectative pure et simple.